Jean-Luc Tingaud a le sens du programme : son dernier disque avec ses Ecossais exaltait la rare Deuxième Symphonie de D’Indy, mais délivrait aussi tous les sortilèges d’Istar. Franck est le sujet de son nouvel album, et là encore, il refuse la facilité. Ce ne sera pas la Symphonie, mais Psyché, œuvre où la poésie dont était capable l’orchestre de Franck se révèle : il faut savoir en caresser les sommeils de cordes, éclairer les harmonies impressionnistes des Jardins d’Eros, et rendre au triptyque final ses récits poétiques, ses accents subliminaux. On n’a jamais rendu cela aussi bien depuis la gravure pragoise de Jean Fournet.
Le disque s’ouvre par l’étonnant Chasseur maudit, ballade fantasque au ton goethéen, dont l’effet de course à l’abîme est saisi avec âpreté, c’est un tout autre visage de Franck qui paraît ici, alors que l’album se refermera dans la poésie nacrée des Eolides, précis de poésie d’orchestre détaillé dans toutes ses transparences.
Mikko Franck s’en tient quant à lui à la Symphonie, qu’il dirige ample, creusant les mystères du premier mouvement qu’il fait sourdre du silence. Son Allegretto est pris lui aussi en dessous du mouvement, comme une pavane, l’effet est assez saisissant, mais j’y entends plus Fauré que Franck, étrange … Le Final lui-même, tenu, sans véritable élan – il ne faut pas lui comparer le flamboiement de Guido Cantelli avec la NBC – vaut plus pour péroraison que pour envol.
Manquerait-il des visions à cet imaginaire ? Justement, le plus beau du disque est à venir : Franck a composé Ce qu’on entend sur la montagne, alors même que Liszt écrivait le sien. Hugo les a également inspirés, mais l’intensité expressive, la puissance narrative que Mikko Franck déploie tout au long des vingt-neuf minutes de l’ouvrage, sculptant les couleurs de tempête, métamorphosant son orchestre en paysages, réinvente une partition trop peu courue.
À l’envers du geste mamoréen de Mikko Franck qui dans la Symphonie semblait effacer l’orchestre dans une chimère d’orgue, Gustavo Gimeno anime sa lecture d’un drive assez fabuleux, éclaire les textures, fait chanter les pupitres. Cette symphonie en vitrail est assez irrésistible, elle métamorphose les arcanes sévères de l’œuvre en autant de fusées colorées, et du coup je comprends mieux la fascination qu’en éprouva D’Indy.
Le final, plus vif qu’emporté, est assez fabuleux de légèreté, là encore cherchant la lumière. Merveilles, les Variations symphoniques, camaïeux de gris perle que le piano discret de Denis Kozhukhin transforme dès son entrée comme un poème. Tout cela très composé, très (trop ?) écouté. Mais ce clavier svelte, accordé à cet orchestre immatériel, fascinent.
LE DISQUE DU JOUR
César Franck (1822-1890)
Le Chasseur maudit, FWV 44
Psyché, FWV 47 (version pour chœur et orchestre)
Les Éolides, FWV 43
RCS Voices
Royal Scottish National Orchestra
Jean-Luc Tingaud, direction
Un album du label Naxos 8.573855
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César Franck
Symphonie en ré mineur,
FWV 48
Ce que l’on entend sur la montagne
Orchestre Philharmonique de Radio France
Mikko Franck, direction
Un album du label Alpha Classics 561
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César Franck
Symphonie en ré mineur,
FWV 48
Variations symphoniques en fa dièse mineur, pour piano et orchestre, FWV 46
Denis Kozhukhin, piano
Orchestre Philharmonique du Luxembourg
Gustav Gimeno, direction
Un album du label Pentatone PTC5186771
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Photo à la une : le chef d’orchestre Jean-Luc Tingaud – Photo : © DR