Dès le Prélude en ut majeur, ployé et déployé dans un clavier profond, le ton est donné : Eric Lu voit tout le cahier sous un angle tragique, journal empli d’ombres qu’il joue espressivo, sculptant le son, faisant vibrer tout le meuble.
Et quelle sonorité, infinie, boisée, aux harmonies amples, trouvant la fièvre, l’angoisse, jouant le Vivace comme un paysage étourdissant où parait une tension, animant l’esquisse du Cinquième, chantant les préludes graves dans un rubato élégant et mortifère. C’est d’un artiste qui ose, mais sait toujours tenir ses audaces dans un style parfait où la grammaire de Chopin impose sa lyrique parfois amère.
Le cycle est sombre, mais absolument pas univoque, le kaléidoscope des émotions y paraît dans toute sa diversité jusqu’au raptus du Prélude final, absolument dévastateur et que le scintillement raffiné du Prélude en fa majeur qui le précède rend plus inattendu encore : ce clavier qui proclame, ces traits comme des rafales !
Les nuances du sombre régneront jusqu’au bout du disque, Intermezzo berceuse de la mort de Brahms, Geistervariationen de Schumann comme entendues d’un autre monde, décidément Eric Lu a de la suite dans ses idées.
LE DISQUE DU JOUR
Frédéric Chopin
(1810-1849)
24 Préludes, Op. 28
Johannes Brahms
(1833-1897)
Intermezzo en mi bémol majeur, Op. 177 No. 1
Robert Schumann
(1810-1856)
Thème et Variations en mi bémol majeur, WoO 24
« Geistervariationen »
Eric Lu, piano
Un album du label Warner 19029529234
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Photo à la une : le pianiste Eric Lu – Photo : © Benjamin Ealovega