Dénominateur commun, la Hongrie, mais quasi comme une utopie de sons. Ce qui chez Liszt, Brahms et Bartók se nomme rhapsodie évoque d’emblée la puszta, l’immensité où se lient la terre et le ciel que parcourent les musiques des ménétriers et les orages des temps épiques.
Alexandre Kantorow sait bien que la Première Rhapsodie est un conte de chevalerie noire, comme l’est la Ballade « Edward », un Erlkönig y narre dans un piano de barde ses méfaits, fantômes et vent nocturne se pressent dans son clavier plein d’eau sombre. Le même Roi des aulnes hantera les paysages et les musiques perdues, disloquées, de la grande Rhapsodie du jeune Bartók, composition saisissante qui semble coulée des pièces les plus sombres de Busoni et que l’on n’avait plus rencontrée incarnée ainsi depuis Zoltán Kocsis.
À bien y entendre, ce sont les musiques de nouveaux mondes qui résonnent tout au long de cet album où un jeune homme impérieux dévore son piano, étoilant ses registres noirs de timbres inouïs, jusque dans la divination de la 11e Rhapsodie de Liszt, musique de chiromancien où Liszt évoque aux premières mesures un cymbalum qu’on entend dans ce piano-métamorphose.
Mais le manifeste de ce disque c’est la Sonate en fa dièse mineur du jeune Brahms, qui éclate les cadres, jette à la tête du piano romantique ses orages d’acier, tonne et s’enfuit : musique folle, absolument libre et portée jusqu’à son plus énigmatique par Alexandre Kantorow avec une poésie divinatoire : écoutez la plainte en trilles de l’oiseau sirine du Sostenuto qui ouvre le Finale : qui l’a fait entendre ainsi depuis Julius Katchen ?
LE DISQUE DU JOUR
Johannes Brahms
(1833-1897)
Rhapsodie en si mineur,
Op. 79 No. 1
Sonate pour piano No. 2 en
fa dièse mineur, Op. 2
Béla Bartók (1881-1945)
Rhapsodie, Op. 1, Sz. 26
Franz Liszt (1811-1886)
Rhapsodie en la mineur,
S. 244 No. 11
Alexandre Kantorow, piano
Un album du label BIS 2380
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Photo à la une : le pianiste Alexandre Kantorow – Photo : © DR