Apothéose des castrats

Le temps de Vinci serait-il venu ? Une tasse de chocolat empoisonné aura eu raison à quarante ans de ce séducteur impénitent, autre Casanova, ce héros de l’Opéra napolitain qui commença à écrire des œuvres dans le dialecte local et aura attendu ses trente ans pour conquérir l’opera seria à Rome avant de s’imposer sur les scènes vénitiennes et napolitaines sans abandonner les bords du Tibre. Génie absolu, dont la plume leste, l’invention mélodique foisonnante, le sens du théâtre lui valurent de devenir le compositeur favori des castrats.

Sa mort soudaine le plongea dans un oubli relatif, mais Vivaldi et Haendel (Partenope !) avaient l’œil sur ses partitions et n’hésitèrent pas à le piller. Max Emanuel Cenčić avait révélé avec ses amis le flamboiement de ses inventions avec son stupéfiant Catone in Utica, c’est peu d’écrire qu’il renouvelle ce coup de maître, le portant plus loin encore tant ce GismondoChabrier écrira sur ce même personnage son Roi malgré lui – est un feu d’artifice continuel emporté dans un enivrant tourbillon par des chanteurs stupéfiants : écoutez seulement le « Va, ritorna » de Primslao dont l’ébouriffante Aleksandra Kubas-Kruk ne fait qu’une bouchée : je ne regrette pas que son soprano flamboyant se substitue au ténor voulu par Vinci, et cette métamorphose n’est pas l’élément le moins surprenant de cet enregistrement.

Les rôles sont admirablement caractérisés et pensés expressément pour des chanteurs, il faut entendre comment Vinci saisit la voix de Farinelli tout au long du rôle de Cunegonda qu’il pare de récits lyriques propres à flatter son instrument virtuose doué pour l’élégie, et entendre comment Sophie Junker les détaille.

Yuriy Mynenko soigne la poésie nostalgique de son Otone, Cenčić et Tamagna font assaut de bronze, l’orchestre rugit, le continuo soupire, qui a dit que l’opera seria était le temple de l’ennui ?

Une suite chez Vinci par les mêmes ? La Semiramide de Metastase pour Rome leur ouvre les bras.

LE DISQUE DU JOUR

Leonardo Vinci (1690-1730)
Gismondo, re di Poloni

Max Emanuel Cenčić, contre-ténor (Gismondo)
Yuriy Mynenko, baryton (Otone)
Sophie Junker, soprano (Cunegonda)
Aleksandra Kubas-Kruk, soprano (Primislao)
Jake Arditti, contre-ténor (Ernesto)
Dilyara Idrisova, soprano (Giuditta)
Nicholas Tamagna, contre-ténor (Ermano)

{oh!} Orkiestra Historyczna
Marcin Świątkiewicz, clavecin, continuo
Martyna Pastuszka, direction

Un coffret de 3 CD du label Parnassus Arts Productions PNS 001
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Photo à la une : le contre-ténor Max Emanuel Cenčić – Photo : © Lukasz Rajchert