L’histoire du jeune homme usurpant une autre identité pour parvenir à ses fins amoureuses est un classique des intrigues de l’opéra-comique, mais Milan Begović, s’inspirant de plusieurs contes croates, brossa un livret subtil en le parant d’une touche d’irréalité : Ero, qui n’est autre que Mića grimé en vagabond, affirme venir d’un autre monde, il parle avec l’au-delà et transmet les messages des morts, parvenant ainsi à retenir l’attention de celle qu’il convoite, Đula, qui pleure la disparition de sa mère. L’intrigue se compliquera à souhait, donnant à Begović l’occasion d’une série de portraits savoureux mais aussi de saisir la vie d’un petit village des collines croates où la roue du moulin du meunier Sima est même décrite musicalement.
Jakov Gotovac s’empara de ce livret brillant et profond à la fois en 1932, déployant l’orchestre si coloré qu’il avait appris auprès de Josef Marx à Vienne, saturant sa partition de thèmes populaires savamment détournés pour créer un ébouriffant folklore imaginaire. La partition est fabuleuse, elle a fait avec justice le tour du monde après une création spectaculaire à l’Opéra de Zagreb le 2 novembre 1935.
Ivan Repušić, se délassant de son splendide cycle Verdi pour la Radio de Munich, a eu mille fois raison d’enregistrer ce conte lyrique d’une étreignante beauté, il s’y régale d’un orchestre magique, et entraîne une compagnie de chant brillantissime que domine le couple des jeunes amoureux, Tomislav Mužek déployant son grand ténor de caractère, Valentina Fijačko Kobić mettant son soprano pulpeux, où passe comme le souvenir du timbre de Sena Jurinac, tour à tour élégiaque ou ardente Đula.
Cette nouvelle gravure, splendidement enregistrée, s’ajoute sans l’annuler à celle du compositeur dont, pour les tempos comme pour les accents, Ivan Repušić s’est inspiré, voir même ses chanteurs : la Doma de Jelena Kordić est le respectueux décalque de celle de Marianna Radev, un timbre un rien plus sombre les différencie seulement.
Et si demain, Ivan Repušić poursuivait son voyage dans les trésors lyriques de sa patrie ? Striženo-košeno, l’autre chef-d’œuvre de l’opéra-comique croate que Krešimir Baranović composa également au début des années 1930, n’attend que lui et sa vaillante troupe pour renaître.
LE DISQUE DU JOUR
Jakov Gotovac (1895-1982)
Ero s onoga svijeta (Ero de l’autre monde), Op. 17
Valentina Fijačko Kobić,
soprano (Đula)
Jelena Kordić,
mezzo-soprano (Doma)
Tomislav Mužek,
ténor (Mića, ou « Ero »)
Ljubomir Puškarić, baryton (Sima, le meunier)
Ivica Čikeš, basse (Marko, un riche paysan)
Suzana Češnjaj, soprano (Un jeune berger)
Chœur de la Radio-Télévision Croate
Münchner Rundfunkorchester
Ivan Repušić, direction
Un album de 2 CD du label CPO 555080-2
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