Saga Rosbaud

Mine de rien, l’édition monographique que la SWR consacre à son chef historique, Hans Rosbaud, en est à son onzième volume, sans que l’on ait abordé le noyau dur de son travail avec l’Orchestre de la Südwestfunk : la musique du XXe siècle.

Je gage que faire se succéder Beethoven puis Mahler n’est pas un choix anodin de la part des initiateurs d’une entreprise aussi nécessaire. Le premier ne figure pas au panthéon posthume du chef, alors qu’il le dirigea tout au long de sa carrière. Le géant de Bonn aurait-il disparu derrière les éclatantes relectures mozartiennes qui firent la réputation de Rosbaud des deux côtés du Rhin ? Probable. Et c’est tant mieux, car cette relégation muette permet de mieux réévaluer ce Beethoven impérieux et svelte, nerveux, cravaché, qui, comme celui du jeune Karajan, devait plus à l’exemple de Toscanini qu’à l’emprise de Furtwängler. Clarté des lignes, envol des rythmes (la 7e !), suractivité du quatuor qui innerve le discours, ce Beethoven vous coupera le souffle d’autant que Rosbaud lui retire tout excès, en faisant une sorte d’apogée du classicisme ouvrant les portes d’un nouveau monde. L’ensemble est fascinant, jusque dans une Pastorale strictement naturaliste, et même lorsqu’il accompagne le Concerto pour violon à une Ginette Neveu exaltée, ou Géza Anda dans ce qui reste une version majeure de l’Empereur.

Au chapitre Mahler, Hans Rosbaud, après le trio des Apôtres (Fried, Walter, Klemperer), fut l’autre grand divulgateur du corpus des symphonies avec Dimitri Mitropoulos. Sa 7e Symphonie, anguleuse, acide, aux Nachtmusik schönbergiennes, est restée justement célèbre malgré une prise de son demeurée longtemps confuse. L’éditeur a opéré un admirable travail de restitution d’après la bande originale qui permet de confirmer la stature historique de cet enregistrement.

Mais à l’écoute du cycle, où ne manque que les trois grandes symphonies vocales (il me semble que Rosbaud ne les a guère dirigées), ce n’est pas tant le génie moderniste, certes présent, mais seulement comme un préalable qui permet de définir une balance d’une absolue clarté, la même que celle que Pierre Boulez imposa par la suite ici, qu’un lyrisme têtu, intense, plus d’une fois bouleversant qui surprend.

Les musiques d’alpage du premier mouvement de la Sixième, et son Andante étoilée, l’Adagietto nuit et brouillard de la Cinquième, les teintes automnales de la Quatrième qui s’assombrissent au long d’un Ruhevoll envoûtant, prémonition de l’Abschied du Chant de la terre, en sont autant d’exemples saisissants. Cette manière de faire transparaître l’émotion derrière la pureté de la lettre culmine dans une Neuvième âpre, cursive, sèche par instants comme pouvait l’être celle de Karel Ančerl avec sa Philharmonie tchèque, mais ouvrant sur des précipices lyriques tout au long d’un Finale inouï.

Pourtant le sommet de cet ensemble sidéral reste Le Chant de la terre capté avec l’Orchestre de la Radio de Cologne. Gravure bien connue, qui circula assez tôt aux Etats-Unis sous étiquette Vox, dont le son élimé l’empêcha de figurer au panthéon des enregistrements de l’œuvre. Là encore, la SWR en repartant des bandes originales aura fait un vrai devoir de mémoire : l’orchestre n’est plus au bout du tunnel mais enserre les voix dans un monde voluptueux et tragique, et quelles voix !

Ernst Haefliger, ivrogne et vagabond ou jeune homme lettré, met son ténor noir aux trois Lieder dont il fut, avec l’autrement solaire Fritz Wunderlich, le maître absolu, et la voix si belle, même vieillie de timbre, de Grace Hoffmann atteint dans l’esseulement du Solitaire en automne, dans le grand récit métaphysique de l’Abschied dont Hans Rosbaud expose en majesté l’arche sonore, à une dimension surnaturelle : elles ne furent pas si nombreuses à passer lors des Ewig de l’autre côté du miroir.

LE DISQUE DU JOUR


Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 1 en ut majeur, Op. 21
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 36
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 « Eroica »
Symphonie No. 5 en ut mineur, Op. 67
Symphonie No. 6 en fa majeur, Op. 68 « Pastorale »
Symphonie No. 7 en la majeur, Op. 92
Symphonie No. 8 en fa majeur, Op. 93 (2 versions, enr. 1953 et 1961)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 77
Concerto pour piano, violon, violoncelle et orchestre en ut majeur, Op. 56
Concerto pour piano et orchestra No. 5 en mi bemol majeur, Op. 73 “Empereur”
Ouverture « Coriolan », Op. 62
Ouverture « Egmont », Op. 84
Ouverture « Leonore II », Op. 72a
Ouverture « Leonore III », Op. 72b
Ouverture « König Stephan », Op. 117

Ginette Neveu, violon
Trio di Trieste
Géza Anda, piano

Südwestfunk-Orchester Baden-Baden
Kölner Rundfunk-Sinfonie-Orchester (Symphonie No. 2)
Hans Rosbaud, direction
Un coffret de 7 CD du label SWR Classic SWR19089CD
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Gustav Mahler
(1860-1911)
Symphonie No. 1, « Titan »
Symphonie No. 4
Symphonie No. 5
Symphonie No. 6, « Tragique »
Symphonie No. 7
Symphonie No. 9
Das Lied von der Erde

Eva-Maria Rogner, soprano
Grace Hoffman, contralto
Ernst Haefliger, ténor

Südwestfunk-Orchester Baden-Baden
Kölner Rundfunk-Sinfonie-Orchester (Symphonie No. 5,
Das Lied von der Erde)

Hans Rosbaud, direction
Un coffret de 8 CD du label SWR Classic SWR19099CD
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Photo à la une : l’Orchestre du Südwestfunk et Hans Rosbaud en 1959 dans leur studio d’enregistrement de Baden-Baden – Photo : © SWR/G.A. Castagne