Un mahlérien, Antal Doráti ? Rien dans sa discographie officielle ne l’atteste, sinon, venu de son magister à Stockholm, une 5e Symphonie captée en public et fugitivement publiée en microsillon par la Swedish Society. Mais au concert, Doráti fut, à compter des années 70, un des nouveaux apôtres de Mahler.
Decca, son éditeur officiel était déjà fourni à ce rayon, une intégrale selon Sir Georg Solti, une autre en cours (et jamais achevée) signée Zubin Mehta, tant pis pour Doráti qui avait de toute façon assez d’autres cordes à son arc. Mais peu à peu, les concerts parlent : la publication d’une 9e Symphonie à Berlin (1984) fit sensation, puis une Sixième avec Israël (1963), mais de son mince et peut-être trop tôt venue.
Finalement, la Antal Dorati Society aura publié huit symphonies sur dix (manque les No. 3 et No. 8, les a-t-il seulement dirigées ?), et certaines dans plusieurs lectures. Au total, la Sixième est quatre fois documentée, trois fois avec des orchestres nord-américains.
Avec Philadelphie, un peu trop de pures beautés, je l’écarte, mais à Detroit en février 1975, quelle lecture expressionniste, abrasée, emplie de sonorités inouïes que l’œil du compositeur Doráti sait faire saillir comme personne : les tenues à perdre haleine du piccolo dans le Scherzo ! Acide, amère, violente, empoisonnée et absolument désespérée, quelle expérience, que Doráti savait pouvoir mener aussi loin avec ses musiciens de Detroit dont il allait devenir le patron deux ans plus tard, en 1977, l’année même où il reprenait la Sixième Symphonie, mais cette fois à Cleveland, et stupeur, l’angle d’approche est à revers, direction cursive, sur les pointes, allégeant les timbres, fouettant les rythmes. Les musiciens de Cleveland s’y souviendraient-ils encore du geste de George Szell ?
Pourtant, si le ton a changé, le discours au final n’est pas si différent, Antal Doráti acquerrait ses interprétations une fois pour toutes, en trempant la lettre dans l’acier, mais, virtuose comme il l’était, il pouvait en faire varier l’esprit. Confrontation éclairante qui affirme son génie dans l’univers de l’auteur du Chant de la terre. D’ailleurs, qui nous retrouvera un écho de la captation de Das Lied von der Erde retransmis par la BBC où rayonnait Aafje Heynis ?
PS : l’éditeur indique l’Andante en second, heureusement Doráti n’a jamais opéré la permutation, il conserve le Scherzo en deuxième mouvement.
LE DISQUE DU JOUR
Gustav Mahler (1756-1791)
Symphonie No. 6, “Tragique”
Version 1
The Cleveland Orchestra
Antal Doráti, direction
Enregistré le 11 mars 1977
Un album du label Antal Dorati Live ADL244
Version 2
Detroit Symphony Orchestra
Antal Doráti, direction
Enregistré le 27 février 1975
Un album du label Antal Dorati Live ADL243
Acheter l’album sur le site du label www.dorati-society.org.uk
Photo à la une : le chef d’orchestre Antal Doráti – Photo : © Universal Music