Mort à quarante-six ans, laissant son aîné Francesco Cavalli lui survivre sept années, Pietro Antonio Cesti fut l’autre génie de l’Opéra Vénitien du XVIIe siècle. On le releva de ses vœux à l’occasion de ses trente-six ans, alors qu’il était déjà devenu un des maîtres de l’art lyrique de son temps, une passion qui lui avait valu neuf ans plus tôt de sévères réprimandes : il avait paru en scène lors de plusieurs représentations du Giasone de Cavalli !
René Jacobs avait tenté de faire renaître son théâtre brillant en enregistrant son Orontea, voici que, à l’invite d’Alessandro De Marchi, qui assure la direction du Festival d’Innsbruck, Ottavio Dantone ressuscite La Dori, y transfusant son sens inné du théâtre.
Mais quoi faire d’une partition qui en son entier dépasse les cinq heures, quel prologue choisir parmi ceux qui accompagnèrent les diverses apparitions de l’œuvre – La Dori fut l’un des ouvrages les plus courus en son siècle -, comment présenter aujourd’hui ce chef d’œuvre oublié ?
Adieux Prologue, Ottavio Dantone resserre sa Dori en un peu moins de trois heures, n’oubliant rien de l’intrigue et laissant à tous les personnages l’espace nécessaire. Subtilement, il insiste sur le grand matériau d’arias que contient l’œuvre, soulignant cette émancipation du théâtre de Cesti en regard de celui de Cavalli, et il habille le tout d’une orchestration opulente, saturée de timbres, dont les couleurs avivées faisaient écho à la magnificence des costumes d’Anna Maria Heinreich pour cette production qui aurait mérité d’être filmée.
Admirable jusque dans ses plus sensibles tourments, la Dori de Francesca Ascioti, alto clair aux couleurs ambrées, Oronte virtuose, aux aigus envoûtants, au medium profond, selon Rupert Enticknap, Artaserse impérieux de Federico Sacchi, magnifique Arsinoe de Francesca Lombardi Mazzuli, soprano décidément à suivre, Alberto Allegrezza ébouriffante nutrice d’Oronte, rôle que Cesti assaisonne de « cavallismes », et comment ne pas céder devant le ténor de bronze de Bradley Smith, Arsete idéal ?
Dans cette distribution parfaite, dont tous les rôles seraient à citer, une perle d’émotion, le Tolomeo d’Emöke Baráth. Et si, bientôt, les mêmes pensaient à nous rendre L’Argia, cet autre opus majeur composé par Cesti pour Innsbruck ?
LE DISQUE DU JOUR
Pietro Antonio Cesti
(1623-1669)
La Dori
Francesca Ascioti, contralto (Dori)
Emöke Baráth, soprano (Tolomeo)
Francesca Lombardi Mazzulli, soprano (Arsinoe)
Rupert Enticknap, contre-ténor (Oronte)
Federico Sacchi, basse (Artaserse)
Bradley Smith, ténor (Arsete)
Alberto Allegrezza, ténor (Dirce)
Pietro Di Bianco, baryton (Erasto)
Rocco Cavalluzzi, basse (Golo)
Konstantin Derri, contre-ténor (Bagoa)
Accademia Bizantina
Ottavio Dantone, direction
Un album de 2 CD du label CPO 555309-2
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Photo à la une : le spectacle à Innsbruck – Photo : © Innsbrucker Festwochen / Rupert Larl