Angelo Ephrikian ne fut pas le premier à enregistrer Juditha Triumphans devicta Holofernis, une exécution donnée à Sienne, sous la baguette d’Antonio Guarnieri, révélait une splendide meurtrière, Elena Nicolai. On était en 1941, tout cela capté sur 78 tours et tardivement révélé par Cetra dans les années soixante.
Entre temps, en 1951 exactement, Ephrikian avait gravé avec une vaillante troupe une lecture un peu étale de cette Juditha, le seul ouvrage sacré de grande envergure, qui pourtant ne laissait pas espérer la renaissance de l’imposant corpus des opéras.
Sept ans plus tard, dans son autre fief, ces Flandres flamandes où il trouva en Lola Bobesco sa violoniste pour Vivaldi, Angelo Ephrikian remettait sur le métier, et devant les micros de la RTB, sa Juditha, lui donnant une toute autre intensité dramatique.
Il utilise pourtant la même version que celle déjà employée pour son enregistrement de l’Angelicum, celle-là même réalisée pour le concert de Sienne par Frazzi d’après le chant piano dix sept ans plus tôt.
À Bruxelles, Ephrikian accepta une distribution choisie par les programmateurs de la Radio. Au centre de cette équipe disparate, la Juditha d’Aafje Heynis qui laissa le chef trévisan sans voix. Leur rencontre inopinée produira quelques années plus tard un Stabat Mater de Vivaldi pour l’éternité.
Et c’est bien Aafje Heynis qui transporte cette soirée, son apparition chez les Assyriens se teinte d’une dimension prophétique, la touche immatérielle du Transit aetas avec la seule mandoline (comment ne pas penser à Deller en l’entendant, parité émotionnelle de deux voix sororales), la sombre résolution d’In sommo profundo juste avant la décollation d’Holopherne qui étonne par sa concentration, son tragique intériorisé, sont autant de moments saisissants où elle dessine un personnage qu’Artemisia Gentileschi n’eut pas désavoué. L’Abra éloquente d’Irma Kolassi est tout aussi remarquable.
Alors peu importe que ce jour-là les hommes ne trouvent guère leurs marques dans des rôles de toute façon transposés (mais à l’occasion ils savent se faire vaillants, et incarnent de vrais figures, ce qui n’est pas rien), sinon Louis Rondeleux, faisant assaut de style sans renoncer à caractériser Ozias, les autres s’accrochant encore à ce qui, dans la réalisation de Frazzi, évoque le chant romantique italien.
Au chapiître Aafje Heynis, Forgotten Records, qui soigne ses publications, ne doit pas s’arrêter en si bon chemin : le disque Vivaldi avec Ephrikian, tombé dans le domaine, et de splendides Sea Pictures à Hilversum, que la contralto chérissait, feraient un bel album.
LE DISQUE DU JOUR
Antonio Vivaldi (1678-1741)
Juditha Triumphans, RV 644
Aafje Heynis, contralto (Juditha)
Theo Zilliken, baryton (Holopherne)
Irma Kolassi, soprano (Abra)
Nicola Monti, ténor (Vagaus)
Louis Rondeleux, basse (Ozias)
Les Chœurs de Liège
Les Solistes de Liège
Angelo Ephrikian, direction
Enregistré au Palais des Beaux-Arts, à Bruxelles, le 13 octobre 1958
Un album de 2 CD du label Forgotten Records 1778/9
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Photo à la une : la contralto Aafje Heynis – Photo : © DR