Les deux mondes

Le simple arpège qui ouvre le Concerto d’Edmund Rubbra dans un quasi-silence força le public de la BBC, qui créa l’œuvre en 1956, à une attention soutenue. Admirable, le développement végétal qui suit, et dont on retrouvera l’efflorescence ligneuse au long du Dialogue. Rubbra y célèbre la corymbe d’automne qu’il voyait fleurir dans le jardin de sa maison de Speen.

L’œuvre est d’une beauté troublante, et je crois qu’elle n’avait pas connu d’enregistrement depuis la version princeps gravée par les créateurs, Dennis Matthews et Sir Malcolm Sargent pour His Master’s Voice dans la foulée de la première audition. Piers Lane y est transcendant de poésie, cherchant dans l’effacement des pianissimos tout un cérémonial de couleurs subtiles. Le début de l’œuvre, puis le DialogueLeon Botstein fait entrer dans le son même du piano les touches expressives de ses solistes, vous emporteront loin dans l’univers d’un compositeur à sa façon radical, et vous donnera envie d’en savoir plus, d’aller entendre ses symphonies. Le Rondo final, que Piers Lane joue avec des doigts légers, n’atteint pas au même degré de poésie.

Contraste absolu avec le Concerto parfois bruitiste de Bliss, où l’auteur de The Olympians célèbre le monde moderne : l’œuvre fut écrite pour les Etats-Unis et dédiée au peuple américain. Solomon la créa à New York sous la direction de Sir Adrian Boult (l’enregistrement existe), Trevor Barnab en signa avec le compositeur une lecture enflammée.

Piers Lane et Leon Botstein saisissent tous les visages de cette œuvre kaléidoscopique où se bousculent les styles les plus diverses, faisant entendre la complexité de ses structures ; ils lui donnent, derrière ses audaces, un certain lyrisme flamboyant, le jeu à la fois précis et libre de Piers Lane m’évoquant celui qu’y osait Noël Mewton-Wood.

Entre ces deux œuvres si dissemblables, Maytine in Sussex, la pastorale de Bax écrite pour son amante Harriet Cohen, devient sous les doigts élégants de Piers Lane, le poème d’amour qu’elle devrait toujours être. Disque aussi exemplaire qu’utile.

LE DISQUE DU JOUR

Edmund Rubbra (1901-1986)
Concerto pour piano et orchestre en sol majeur, Op. 85
Sir Arthur Bliss (1891-1975)
Concerto pour piano et orchestre en si bémol majeur
Sir Arnold Bax (1883-1945)
Variations symphoniques pour piano et orchestre sur « Morning Song” (Maytime in Sussex)

Piers Lane, piano
The Orchestra Now
Leon Botstein, direction

Un album du label Hypérion CDA68297
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Photo à la une : © Hypérion