Premier Chant

Pour Rafael Kubelik, le « cas Mahler » était entendu, son ascendance tchèque lui avait rendu les sonorités de son orchestre familières, et il avait retrouvé avec les Wiener Philharmoniker une part de cette identité, plus encore qu’une tradition qui s’était étiolé. Il sera le premier avec Bruno Walter à reprendre avec les Viennois « leur Mahler ».

Pour Decca, aussi tôt qu’en 1954, une Première Symphonie avait fait sensation, prélude à une excursion plus vaste qui ne se fit pas et au premier rang de laquelle devait figurer Das Lied von der Erde, mais Decca affichait l’enregistrement de Bruno Walter avec Julius Patzak et Kathleen Ferrier, monument déjà. Peu importe, ce que les micros de Decca ne voudraient pas, ceux de l’ORF en ferait leur miel.

Kubelik entreprit un travail de remise au net de la partition, essayant d’éloigner l’orchestre de la parabole lyrique qu’y avait imposée Bruno Walter, faisant les cinq premiers lieder sans pathos, avec une grande exactitude de caractérisation, et allégeant l’Abschied, en éclairant l’orchestre, en fluidifiant le discours. À ce jeu, il restait pourtant assez proche de Walter par l’esprit, jusque dans une certaine tonalité de musique de chambre, et certainement à l’opposé des gestes âpres et marmoréens d’Otto Klemperer ou de Fritz Reiner.

Si Waldemar Kmentt lui donnait l’héroïsme frustre que Julius Patzak évitait à force à la fois d’élégance et d’expressionisme, la vraie rencontre fut celle d’Hilde Rössel-Majdan, le plus beau mezzo qu’ait connu la Vienne d’après-Guerre, longue voix ambrée au vibrato lumineux, musicienne consommée et rompue à Bach et aux Lieder, une artiste majeure dont la voix l’enchanta et qui transfigure son Abschied par une présence dramatique étonnante.

Comme cette voix est belle, elle m’évoque parfois celle d’Aafje Heynis. Bien des années plus tard, lorsque Kubelik revint au Chant pour la Radio Bavaroise, certain désormais que la Deutsche Grammophon ne lui offrirait pas d’enregistrer l’œuvre en coda de son cycle des symphonies, il cherchera la couleur d’ambre de Rössel-Majdan et la retrouvera chez Janet Baker.

Ce Chant de la terre suffirait à rendre ce concert du 30 août 1959 historique, mais il faut entendre aussi le ton Sturm und Drang que Kubelik applique à la Quatrième Symphonie de Schubert, son espressivo augurait bien de la seconde partie de la soirée.

LE DISQUE DU JOUR

Gustav Mahler (1860-1911)
Das Lied von der Erde
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie No. 4 en ut mineur, D. 417 « Tragique »

Waldemar Kmentt, ténor
Hilde Rössel-Majdan, contralto
Wiener Philharmoniker
Rafael Kubelik, direction

Un album de 2 CD du label Orfeo C820102B
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Photo à la une : le chef d’orchestre Rafael Kubelik – Photo : © DR