Le maître des Lieux

Salzbourg venait de lui donner les clefs de son Festival, Herbert von Karajan l’envahissait immédiatement de ses projets, opéras mais aussi concerts, et à l’été 1957, y fera entendre en alternance les Wiener Philhamoniker dont il voulut toujours être le directeur musical, et les Berliner Philharmoniker, dont il l’était effectivement.

Les concerts de 1957 furent en quelque sorte le laboratoire de la direction artistique qu’il allait prôner, celui du 13 août restant le plus étonnant et sonnant comme un adieu, entièrement consacré à la musique du XXe siècle avec les Berlinois, fait qu’il ne reproduira à l’avenir qu’avec eux et pour les seuls programmes dévolus à la Seconde Ecole de Vienne. En création, la Sinfonia parabolica de Theodor Berger, puis le Concerto pour piano de Gottfried von Einem, figure tutélaire du Festival et enfin la Symphonie « Liturgique » d’Arthur Honegger qu’il venait d’inscrire au panthéon très sélectif de son répertoire contemporain. Le programme rappelait le temps héroïque des aventureuses programmations tentées lors de son magister à la tête des Wiener Symphoniker.

Mais les autres concerts entendent assoir un répertoire intemporel qui allait se répéter durant les prochaines décennies, Karajan essayant pour la première fois sa symphonie favorite de Bruckner, la 8e, avec les Wiener Philharmoniker – on entend qu’ils s’y jaugent et presque s’y jugent –, reprenant avec eux le Singverein un Requiem allemand aux lumières rasantes, aux paroles torrentueuses où Lisa Della Casa et Dietrich Fischer-Dieskau exaucent leurs chants à la hauteur de l’Écclésiaste (et pour la première, dans une luminescence du timbre fascinante).

Le concert Mozart où il retrouve ses Berlinois serait-il un coup de pied à l’âne décoché aux Wiener privé de Wolfgang en quelque sorte chez eux, et venant d’un chef qui avec eux avait gravé des Nozze di Figaro pour l’éternité ?

Karajan voulait simplement faire entendre son Mozart, alerte, toscaninien, et il lui était bien plus aisé de le mettre au point avec son orchestre qu’avec les Viennois : écoutez seulement le Finale de la Jupiter. Pourtant, le sommet du concert reste le 21e Concerto avec Géza Anda, où l’un et l’autre font assaut d’élégance et de caractère, dialogue parfois éruptif qui invite ici tout un théâtre que le pianiste hongrois n’osait pas toujours lorsqu’il se trouvait seul avec l’orchestre.

LE DISQUE DU JOUR

Herbert von Karajan
Salzburger Orchesterkonzerte 1957
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 8 en ut mineur, WAB 108 (ed. Robert Haas, 1887 & 1890 versions)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie No. 35 en ré majeur, K. 385 « Haffner »
Concerto pour piano et orchestra No. 21 en ut majeur, K. 467
Symphonie No. 41 en ut majeur, K. 551 « Jupiter »
Johannes Brahms (1833-1897)
Ein deutsches Requiem, Op. 45
Theodor Berger (1905-1992)
Sinfonia parabolica
Gottfried von Einem (1918-1996)
Concerto pour piano et orchestre, Op. 20
Arthur Honegger (1892-1955)
Symphonie No. 3, H. 186 « Liturgique »

Géza Anda, piano (Mozart)
Gerty Herzog, piano (Von Einem)

Lisa della Casa, soprano
Dietrich Fischer-Dieskau, baryton
Wiener Singverein

Wiener Philharmoniker (Bruckner, Brahms)
Berliner Philharmoniker (Mozart, Berger, Von Einem, Honegger)
Herbert von Karajan, direction

Un coffret de 4 CD du label Orfeo C773084L
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Photo à la une : le chef d’orchestre Herbert von Karajan à gauche, et le pianiste hongrois Géza Anda – Photo : © Deutsche Grammophon