Les deux voix

Signe des temps, les Sea Pictures que longtemps seules des contraltos puis des mezzos anglaises défendirent, auxquelles il faut ajouter Aafje HeynisRoy Henderson lui avait montré le recueil d’Elgar – gagnent l’intérêt de leurs consœurs européennes.

Elīna Garanča sait qu’elles sont écrites pour son mezzo abondant dont le velours sait se plier dans les grandes lignes des cinq mélodies, elle en savoure les embruns, détaille avec finesse Where Corals Lie, et donne du Sea Slumber Song une admirable lecture atmosphérique. The Swimmer, splendidement amené, l’est pourtant par elle d’abord, et presque un peu seule. Car si Daniel Barenboim, chez lui dans l’œuvre d’Elgar depuis ses premiers pas de chef d’orchestre, entend son chant admirable, il laisse son orchestre étale, trop, mais peu importe, elle occupera ces absences même, entraînant une formation peu familière avec l’œuvre par la seule puissance de ses visions mais la laissant seule s’affaler à la coda.

Falstaff, lui, se traînera, ses épisodes allant mollement du croquis ironique à l’esquisse psychologique, se noyant dans cette direction arythmique qui donne envie de retourner à la version princeps que Barenboim enregistra pour CBS avec un orchestre autrement familier de l’œuvre.

Alors autant retrouver Elīna Garanča face à Schumann et Brahms. Son Frauenliebe und Leben, dit avec abondance et dans une voix glorieuse, n’aurait pas à rougir devant ceux de Lotte Lehmann ou de Sena Jurinac, c’est assez dire comme son instrument s’y donne, sans afféterie, et avec toute la splendeur de ses timbres.

Parcours émouvant au possible, mais comment ne pas entendre que cette voix, d’étoffe, de projection, est plus encore accordée au treize Lieder de Brahms dont elle enflamme les drames (Liebestreu) et mordore les automnes (sa Sapphische Ode). Discret, presque trop, le piano de Malcolm Martineau la laisse emplir l’espace de sa grande voix dont le lied a tant besoin. Serait-elle avec Dorothea Röschmann la dernière qui puisse faire entrer l’immense dans l’intime depuis que Brigitte Fassbaender y a renoncé ?

LE DISQUE DU JOUR

Sir Edward Elgar (1857-1934)
Sea Pictures, Op. 37
Falstaff, Op. 68

Elīna Garanča, mezzo-soprano
Staatskapelle Berlin
Daniel Barenboim, direction

Un album du label Decca 0002894850968
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Robert Schumann
(1810-1856)
Frauenliebe und Leben, Op. 42
Johannes Brahms
(1833-1897)
Liebestreu, Op. 3 No. 1
Liebe und Frühling II, Op. 3 No. 3
Heimweh II, Op. 63 No. 8
Mädchenlied, Op. 107 No. 5
Sapphische Ode, Op. 94 No. 4
O liebliche Wangen, Op. 47 No. 4
Geheimnis, Op. 71 No. 3
Wir wandelten, Op. 96 No. 2
Die Mainacht, Op. 43 No. 2
Von ewiger Liebe, Op. 43 No. 1
5 Gesänge, op. 72 (3 extraits : I. Alte Liebe, III. O kühler Wald, IV. Verzagen)

Elīna Garanča, mezzo-soprano
Malcom Martineau, piano

Un album du label Deutsche Grammophon 4839210
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Photo à la une : la mezzo-soprano lettone Elīna Garanča – Photo : © Christoph Köstlin