Voici peu, Universal regroupait les enregistrements qu’Henryk Szeryng avait consentis à Philips, Mercury ou Deutsche Grammophon, somme qui englobait quasi tout son répertoire, sinon le Concerto de Manuel Maria Ponce, ensemble où irradiait son archet solaire. Le reste de sa discographie sera un jour assemblé par Sony qui l’a déjà quasiment éditée en CD mais dans un certain désordre, et où manquent encore la plupart des premières gravures concertantes avec Pierre Dervaux ou Ernest Bour avec lequel Szeryng m’avait confié un jour qu’il entretenait une amitié partagée.
Les enregistrements réalisés en concert pour la SWR célèbrent leurs affinités électives dans une triade de concertos qui composent l’acmé du genre. Leur Beethoven élancé, d’une pureté de traits, d’une élégance qui ne renonce pas à l’espressivo, serait-il la perfection ? Szeryng y est d’un naturel qu’il n’a pas à ce point dans la magnifique gravure de studio avec Hans Schmidt-Isserstedt. Leur Brahms est irrésistible d’élan, le violoniste chantant avec un style altier, retrouvant la pureté d’intonation de sa légendaire gravure avec Pierre Monteux qui constitue l’un des sommets de sa discographie, comme de celle de l’œuvre. Celui de Schumann, auquel, après Georg Kulenkampff, Szeryng rendit justice sonne fiévreux, intense, sombre avec une touche plus romantique que dans ses autres enregistrements avec Antal Doráti (Philips, gravure légendaire), ou Hans Rosbaud pour la même antenne bien des années plus tôt (et alors en monophonie). La nouvelle gravure a l’avantage d’une stéréophonie sans fioritures, qui capture l’orchestre dense de Schumann.
D’ailleurs, tout au long des ces cinq disques, les prises de son se révèlent magnifiques de présence et de définition, à l’exception de celle plus ancienne de la Symphonie espagnole ; leurs qualités sont encore plus sensibles dans le répertoire du XXe siècle, éclairants les ors et les rouges d’un Concerto à la mémoire d’un ange où Szeryng s’engage avec une intensité expressive qu’il n’avait pas mise dans son enregistrement de studio avec Rafael Kubelík : Ernest Bour l’enlace dans un orchestre qui regarde plus vers Mahler que vers Schoenberg. Témoignage précieux, le Concerto de Sibelius dirigé âpre par Hiroyuki Iwaki, immense chef japonais trop oublié, serait-il le plus beau des trois que Szeryng nous ait laissés ? Le plus éloquent en tous cas, avec dans les récitatifs cet archet qui se charge soudain, faisant mentir sa réputation apollinienne.
L’armure se fend plus encore dans un Deuxième Concerto de Szymanowski où dans la grande cadence un ménestrier furieux vient enflammer une danse où s’exalte tout le folklore des Tatras que Stanisław Skrowaczewski stylise, aiguisant les rythmes, faisant les dissonances âpres, pensant à Bartók. Tristesse !, Szeryng n’a jamais voulu jouer le Premier Concerto, craignait-il le souvenir de la chanterelle légendaire de Paweł Kochański ?
Gravures précieuses entre toutes, même dans les deux premiers disques de concertos classiques où le style fait merveille, que vous thésauriserez, rangeant ce beau petit coffret à côté de la grande boîte d’Universal pour mieux aller de l’un à l’autre, vous livrant aux bonheurs des comparaisons.
LE DISQUE DU JOUR
Henryk Szeryng
The Concerto SWR Recordings, 1956-1984
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Concerto pour violon, cordes et basse continue No. 1 en la mineur, BWV 1041
Kammerorchester des Saarländischen Rundfunks –
Karl Ristenpart, direction
Concerto pour violon, cordes et basse continue No. 2 en mi majeur, BWV 1042
Sinfonieorchester des Südwestrundfunks Baden-Baden und Freiburg –
Paul Sacher, direction
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour violon et orchestre No. 3 en sol majeur, K. 216
Sinfonieorchester des Südwestrundfunks Baden-Baden und Freiburg –
Paul Sacher, direction
Concerto pour violon et orchestre No. 5 en la majeur, K. 219
Sinfonieorchester des Südwestrundfunks Baden-Baden und Freiburg –
Ernest Bour, direction
Concerto pour violon et orchestre No. 7 en ré majeur, K. 271a
Rundfunk-Sinfonieorchester Saarbrücken – Stanisław Skrowaczewski, direction
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 61
Robert Schumann (1810-1856)
Concerto pour violon et orchestre en ré mineur, WoO 23
Sinfonieorchester des Südwestrundfunks Baden-Baden und Freiburg –
Ernest Bour, direction
Edouard Lalo (1823-1892)
Symphonie espagnole en ré mineur, Op. 21
Sinfonieorchester des Südwestrundfunks Baden-Baden und Freiburg –
Rolf Reinhardt, direction
Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 77
Sinfonieorchester des Südwestrundfunks Baden-Baden und Freiburg –
Ernest Bour, direction
Jean Sibelius (1865-1957)
Concerto pour violon et orchestre en ré mineur, Op. 47
Rundfunk-Sinfonieorchester Saarbrücken – Hiroyuki Iwaki, direction
Alban Berg (1885-1935)
Concerto pour violon et orchestre, « Dem Andenken eines Engels »
Sinfonieorchester des Südwestrundfunks Baden-Baden und Freiburg –
Ernest Bour, direction
Karol Szymanowski (1882-1937)
Concerto pour violon et orchestre, Op. 61
Rundfunk-Sinfonieorchester Saarbrücken – Stanisław Skrowaczewski, direction
Henryk Szeryng, violon
Un coffret de 5 CD du label SWR Classic 19092CD
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Photo à la une : le violoniste Henryk Szeryng –
Photo : © Decca/Universal Music