Second couteau ? Pas vraiment. Robert Denzler eut une carrière discrète et un peu compromise par des accointances politiques malheureuses. À Genève, il s’était fait un nom en créant dans les années vingt un Festival Wagner qui lui ouvrira les portes de l’Opéra d’État de Berlin avant que Carl Ebert ne mette fin à son contrat par imprudence : il lui préférait Fritz Reiner qui finalement s’embarqua pour les États-Unis où l’appelait l’Orchestre Symphonique de Pittsburgh. Denzler espérait bien rester à Berlin, s’y trouver des concerts, et fit allégeance au nazisme en vain.
Rentrer à Zürich, mis à l’index, tout semblait fini, mais non. Ernest Ansermet se souvenait de lui, de ses vertus de wagnérien, chose qu’il n’était pas du tout lui-même, il le savait aussi compositeur et tenait ses œuvres dans une estime relative, et puis Ansermet resta fort peu regardant sur le passé politique de ce chef de talent : il l’invita à diriger son Orchestre de la Suisse Romande, un blanc-seing, les ingénieurs de Decca furent assez étonnés de l’excellence de ses interprétations notant la clarté de la balance que ce chef inconnu obtenait de L’OSR.
John Culshaw l’invita pour une session parisienne avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire et pour deux œuvres qui étaient pourtant au répertoire d’Ernest Ansermet : la Symphonie de Chausson dont Denzler atmosphérisait les harmonies debussystes avec un art savant avant de tremper le même orchestre dans l’acier pour une Symphonie « Liturgique » d’Honegger demeurée inapprochée par Ansermet lui-même et sinon, mais en des termes différents, par Herbert von Karajan et ses Berlinois. Le Chant de joie, sans pompe et d’un sombre éclat, s’y ajoute.
Quatre ans plus tard, à Genève, et donc chez Ansermet et avec son orchestre, la Quatrième Symphonie de Tchaikovski affirme le grand caractère de cette direction comme venue d’un autre temps et quasiment d’un autre monde. Qui osait alors un tel expressionisme ? A revers, fluides, lumineuses, cravachées, les deux Ouvertures de Berlioz cherchent dans l’ivresse du mouvement une touche plus objective.
Refermant ce double album utile, le mystère Denzler reste entier, mais si vous l’approchez, tentez aussi sa transcendante Walkyrie que les pirates ont éditée par deux fois.
LE DISQUE DU JOUR
Robert Denzler
The Decca Recordings
Ernest Chausson*
(1855-1899)
Symphonie en si bémol majeur, Op. 20
Arthur Honegger*
(1892-1955)
Symphonie No. 3 « Liturgique », H. 186
Chant de joie, H. 47
Hector Berlioz (1803-1869)
Benvenuto Cellini, H. 76 – Ouverture
Béatrice et Bénédict, H. 138 – Ouverture
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Symphonie No. 4 en fa mineur, Op. 36, TH 27
*Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire
L’Orchestre de la Suisse Romande
Robert Denzler, direction
Un album de 2 CD du label Decca 4840262 (Collection Eloquence Australie)
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Photo à la une : le chef d’orchestre suisse Robert Denzler – Photo : © DR