L’entendant en Octavian à Salzbourg, Lotte Lehmann s’exclama « elle est comme nous ». Et oui comme Lotte, une fois en scène, Sena éprouvait le feu sacré.
Vienne fut son port d’attache, la voix généreuse, les mots à fleur de lèvres, le legato comme un étendard pour dresser le chant (et parfois dans le repli du timbre pour le laisser flotter, quasi belcantiste), rééditait le temps héroïque du Staatsoper, déjà débordé par toutes ses voix venues des confins de l’Empire, croates, hongroises, roumaines, bulgares. Et Vienne lui offrit tout ce qu’elle voulut et tout du long de sa vie d’artiste, seule Christa Ludwig eut, dans la même période et pour un peu plus longtemps, autant, en qualité et en variété.
Tout cela est documenté par Orfeo, tous les visages paraissent avec ce degré de précision dans l’incarnation qui lui permet au Rosenkavalier de faire paraître dans la même voix glorieuse et Octavian et La Maréchale, chacun disant son monde. Pour La Maréchale, elle aura Maria Reining qui avait pris sa Rési exactement là où Lehmann l’avait laissée ; pour Octavian, elle aura Ludwig qui une fois Maréchale aura exactement les élans de Jurinac.
En Strauss, la ligne est continue, et aussi entre ces deux-là pour le Komponist d’Ariadne qui fut pour Jurinac un achèvement et pour Ludwig son plus beau rôle de soprano, amorce d’un rêve inachevé.
Les Mozart fulgurent. Les Puccini slaves sont étonnants : elle déborde un peu Cio-Cio-San, mais elle a la voix exacte de Tosca et y met la même couleur un brin exotique que Zinka Milanov. De la passion (Scène de la Lettre de Tatiana) au renoncement (mais où la passion flamboie encore, Elisabetta), tout Sena est là, de Chérubin à Jenůfa, ou presque : Wagner manque, et surtout cette Senta essayée à Strasbourg et dont la Ballade me hante.
LE DISQUE DU JOUR
Sena Jurinac
Wiener Staatsoper Live Recordings, 1950-1972
Œuvres de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Hans Pfitzner (1869-1949), Richard Strauss (1864-1949), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Giacomo Puccini (1858-1924), Claudio Monteverdi (1567-1643), Piotr Ilyich Tchaikovski (1840-1893), Leos Janáček (1854-1928), Giuseppe Verdi (1813-1901), Giacomo Puccini (1858-1924)
Sena Jurinac, soprano
Un album de 2 CD du label Orfeo C6840621
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Photo à la une : Elisabeth Schwarzkopf en Suzanne et Sena Jurinac en Chérubin, dans « Les Noces de Figaro » au Théâtre des Champs-Elysées en 1949 – Photo : © DR