On sait la carrière à éclipses de Sergio Fiorentino, tardivement renouée, et plus encore magnifiée au long des ultimes années. Ce pianiste racé, qui aurait mérité la renommée d’Arturo Benedetti Michelangeli (lequel l’admirait comme le « seul autre pianiste »), mais n’avait pas de bolides à offrir à l’appétit des journalistes, aura vécu son art dans le secret de son atelier, professeur d’abord depuis que l’univers des concerts et des disques avaient écœuré chez lui une noblesse native renforcée par la certitude que le monde qui l’entourait n’était pas le sien.
Les accidents de la vie le forcèrent à ce retrait, mais on vint le chercher, sa légende n’était pas morte, Aldo Ciccolini lorsque je lui demandais sans impertinence un jour chez lui à Asnières qui était le plus grand pianiste italien vivant, me répondit du tac au tac : « Fiorentino ».
On vint le chercher, et il revint, pour des disques, pour des concerts, en Europe évidemment, mais aussi loin qu’à Taiwan, son cœur incertain se moquait du stress de l’avion, pourvu qu’au bout du voyage, il y eut un concert et surtout un piano. Il aimait les pianos, les voyait comme des paradis. Les Etats-Unis, où il avait joué jeune homme et contracté un amour déraisonnable du Coca-Cola, l’enchantaient ; il avait gardé un souvenir enthousiaste de New York, cette ville qui comme lui ne dormait jamais, et la retrouver pour des récitals durant les trois dernières années de sa vie, lui fut un baume.
Un prodigieux concert Chopin à Newport en 1997 le montre d’une fantaisie et d’une élégance folle, ce piano-là est d’un autre temps, et c’est un éden. La joie le transfigure comme dans tout ce qu’il égrainera sur des scènes plus ou moins prestigieuses, et sur des pianos qui sont ce qu’ils sont mais ne résistent pas à qui les aime autant. Ecoutez comment il se débrouille de celui du Breakers de Newport, au clavier un peu lourd pour les Métamorphoses symphoniques que Leopold Godowsky fait subir à Johann Strauss ; l’année suivante, pour le récital Chopin, il sera mieux réglé).
Au long de ses concerts, Sergio Fiorentino égrène son répertoire de prédilection, la Deuxième Sonate de Scriabine, des Rachmaninov saturés de couleurs dont une Deuxième Sonate qu’il paysage dans le plus profond de son piano, la si bémol de Schubert au trille de rossignol (car les rossignols chantent dans le grave), des Valses de Brahms, choisies parce qu’aimées, et des raretés qui pour lui étaient monnaie courante, comme le Thème et Variations de Tchaïkovski, et même comme au débotté, le Quintette avec vents de Beethoven, ou le Quintette de Franck.
Mais ses Adieux et son Opus 110 de Beethoven, sa Fantaisie de Schumann, rappellent qu’il regardait l’essentiel du répertoire de son instrument en n’en sachant tout, et qu’il le jouait ainsi, avant, avec l’élégance d’un prince, jusqu’à promener ses doigts dans les fantaisies d’ivoire et d’ébène des Valses du Rosenkavalier qu’il s’était arrangées pour lui, en reprenant la transcription de Singer pour la pimenter de personnages.
Tout cela est ici, enclos dans cette boîte parfaite, patiemment ouvragée par Emilio Pessina, et je l’en remercie.
LE DISQUE DU JOUR
Sergio Fiorentino
Live in USA
1996, 1997, 1998
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
6 Bagatelles Op. 126
Sonate pour piano No. 26 en mi bémol majeur, Op. 81a « Les Adieux »
Sonate pour piano No. 31 en la bémol majeur, Op. 110
Quintette pour piano et vents en mi bémol majeur, Op. 16
Jane Murray, hautbois – Charles Stier, clarinette – Susan Wood, basson – Eric Ruske, cor
Ferruccio Busoni (1866-1924)
Prélude et Fugue en ré majeur, BV B 20
(d’après le BWV 532 pour orgue de J. S. Bach – arr. Fiorentino)
Prélude et Fugue en mi bémol majeur, BV B 22
(d’après le BWV 552 pour orgue de J. S. Bach – 2 versions)
Frédéric Chopin (1810-1849)
Grande valse brillante en mi bémol majeur, Op. 18 (4 versions)
24 Préludes, Op. 28
(4 extraits : Nos. 15 en ré bémol majeur, No. 16 en si bémol mineur, No. 17 en la bémol majeur, No. 23 en fa majeur)
Valse en ut dièse mineur, Op. 64 No. 2
Valse en la bémol majeur, Op. 34 No. 1 (2 versions)
Grande Valse en la bémol majeur, Op. 42 (2 versions)
Valse en ré bémol majeur, Op. 64 No. 1 « Minute » (3 versions)
Valse en ut dièse mineur, Op. 64 No. 2 (4 versions)
Nocturne en ré bémol majeur, Op. 27 No. 2 (2 versions)
Nocturne en fa dièse majeur, Op. 15 No. 2
12 Etudes, Op. 10
(4 extraits : No. 4 en ut dièse mineur, No. 6 en mi bémol mineur, No. 8 en fa majeur,
No. 10 en la bémol majeur)
Mazurka en ut dièse mineur, Op. 50 No. 3
Mazurka en si bémol majeur, Op. 7 No. 1
Mazurka en en si mineur, Op. 33 No. 4
Mazurka en ré majeur, Op. 33 No. 2
Polonaise No. 1 en ut dièse mineur, Op. 26 No. 1
Ballade No. 3 en la bémol majeur, Op. 47
Ballade No. 4 en fa mineur, Op. 52
Etude en ut dièse mineur, Op. 10 No. 4
Franz Liszt (1811-1886)
Paraphrase – Valse de l’opéra « Faust » de Gounod, S. 407
Der Müller und der Bach (No. 2, des « Müllerlieder von Franz Schubert, S. 565 »)
Frühlingsglaube (No. 7, des « 12 Lieder von Franz Schubert, S. 558 »)
3 Études de concert, S. 144
Rhapsodie hongroise No. 12 en ut dièse mineur, S. 244/12
Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour piano No. 21 en si bémol majeur, D. 960
Moment musical No. 3 en fa mineur, D. 780 (2 versions)
Sonate pour piano No. 13 en la majeur, D. 664
4 Impromptus (Volume 1), D. 899
Robert Schumann (1810-1856)
Fantaisie en ut majeur, Op. 17 (3 versions)
Romanze en fa dièse mineur, Op. 28 No. 2
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Sonate pour piano No. 2 en sol dièse mineur, Op. 19 (2 versions)
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Sonate pour piano No. 2 en si bémol mineur, Op. 36 (2nde version, 1931)
Vocalise, Op. 34 No. 14 – Lentamente. Molto cantabile (arr. Fiorentino, 1962)
Piotr Ilyitch Tchaikovsky (1840-1893)
Valse en la bémol majeur, Op. 40 (TH 138) No. 8 (version Fiorentino)
Thème avec Variations en la mineur, TH 121
Valse-Caprice en ré majeur, Op. 4, TH 126
César Franck (1822-1890)
Quintette avec piano en fa mineur, FWV 7
Sergiu Schwartz – Geoff Nuttall, violons – Barry Shiffman, alto –
Suren Bagratuni, violoncelle
Johannes Brahms (1833-1897)
16 Waltzes, Op. 39 (solo piano version)
Otto Singer II (1863-1931)
Paraphrase de concert (Valse) sur des thèmes du « Rosenkavalier »
de Richard Strauss (version Fiorentino)
Carl Tausig (1841-1871)
Valse-Caprice No. 2 – Paraphrase de concert sur « Man lebt nur einmal!, Walzer, Op. 167 » de Johann Strauss II
Leopold Godowsky (1870-1938)
Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de « Die Fledermaus »
de Johann Strauss II
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
La fileuse (Presto) (No. 4, des « Lieder ohne Worte, Cahier 6, Op. 67 »)
Moritz Moszkowski (1854-1925)
Presto en fa majeur (No. 6, des « 15 Etudes de virtuosité, Op. 72 »)
Étincelles en si bémol majeur (No. 6, des « 8 Morceaux caractéristiques, Op. 36 »)
Isaac Albéniz (1860-1909)
Seguidillas (No. 5, des « Cantos de España, Op. 232 »)
Sergio Fiorentino, piano
Un coffret de 9 CD du label Rhine Classics RH-015
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Photo à la une : le pianiste Sergio Fiorentino – Photo : © DR