Josef Krips dirigea tout à l’Opéra de Vienne, avant et après la Seconde Guerre, ce que fait un peu oublier le légendaire ensemble Mozart qui ressuscita tout un art qu’on croyait perdu. La Traviata était sa propriété in loco, et plus encore depuis qu’il avait repris l’ouvrage en 1947, Maria Cebotari partageant sa Violetta avec Elisabeth Schwarzkopf, l’une et l’autre la chantant en allemand comme l’on faisait encore alors à Vienne. En 1971, l’italien s’était imposé, au grand bonheur de Krips qui régla son orchestre sur un plus grand soleil, pour mieux le faire plus noir au long d’un troisième acte d’anthologie où il conduisait à la limite de ses forces une jeune soprano roumaine que les Viennois avaient vue quelques mois auparavant en Sophie du Rosenkavalier. Le papillon se défaisait de sa chrysalide, osant l’un des rôles les plus périlleux dont elle triompha en effet en allant au bout de sa voix, mais sans la briser.
La soirée est évidemment historique, et préserve aussi un Alfredo au style fou, le plus beau que nous ait laissé Nicolai Gedda (écoutez le dire « De’ miei bollenti spiriti »). Krips infuse dans le drame une dimension nostalgique, quelque chose de fatal qui saisit bien l’atmosphère décadente du drame de Dumas fils et ne se retrouvera nulle part ailleurs, inspirant au Germont de Cornell MacNeil une amertume jusque dans le pardon, nuance dont je ne le croyais pas capable. Bonheur, Orfeo a considérablement éclairci le son d’une bande qui avait connu trop d’éditions approximatives, et je prends toute la mesure de cette soirée historique où brille la Flora Bervoix d’Edita Gruberova, stupéfiante de présence.
Lorsque Carlos Kleiber décida d’enregistrer La Traviata, il le voulut expressément avec Ileana Cotrubaș. L’enregistrement courut sur une année, le vif argent du chef suppléant dans ce studio éparse la vie du théâtre qui risquait d’y manquer. Bémol, si le drame est autrement brillant que chez Krips, il n’est pas aussi impeccable, la nuance de désespoir y manque, et Cotrubaș elle-même s’y force sans plus avoir absolument les moyens lapidaires de sa prestation viennoise, sans compter que Domingo n’eut jamais le style de Gedda. Alors, sans vous priver de Carlos Kleiber, dont la gravure est splendidement rééditée par Deutsche Grammophon, Blu-Ray audio à l’appui, écoutez surtout la soirée viennoise.
LE DISQUE DU JOUR
Giuseppe Verdi (1813-1901)
La Traviata
Ileana Cotrubaș, soprano (Violetta Valéry)
Nicolai Gedda, ténor
(Alfredo Germont)
Cornell MacNeil, baryton (Giorgio Germont)
Edita Gruberova, soprano (Flora Bervoix)
Emmy Loose, soprano (Annina)
Kurt Equiluz, ténor (Gastone)
Ernst Gutstein, baryton (Barone Douphol)
Harald Pröglhöf, baryton-basse (Marchese d’Obigny)
Herbert Lackner, basse (Dottore Grenvil)
Chor und Orchester der Wiener Staatsoper
Josef Krips, direction
Enregistré le 25 décembre 1971, à Vienne
Un album de 2 CD du label Orfeo C8161121
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Giuseppe Verdi (1813-1901)
La Traviata
Ileana Cotrubaș, soprano (Violetta Valéry)
Plácido Domingo, ténor
(Alfredo Germont)
Sherill Milnes, baryton (Giorgio Germont)
Stefania Malagù, mezzo-soprano (Flora Bervoix)
Helena Jungwirth, soprano (Annina)
Walter Gullino, ténor (Gastone)
Bruno Grella, baryton (Barone Douphol)
Alfredo Giacomotti, basse (Marchese d’Obigny)
Giovanni Foiani, basse (Dottore Grenvil)
Chœur et Orchestre de l’Opéra d’Etat de Bavière
Carlos Kleiber, direction
Un album de 2 CD + Blu-Ray audio du label Deutsche Grammophon 4797287
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Photo à la une : la soprano Ileana Cotrubaș – Photo : © DR