Glenn Gould l’osa le premier : détacher dans les cahiers de maturité et de grand âge que Brahms caressait ou rugissait du piano, ce qu’il nommait intermezzo et qui dans son esprit si féru de littérature claviéristique baroque, était comme un souvenir de Scarlatti, musique de reclus et d’autant plus fantaisiste. Non pas des Caprices, mais vraiment des Intermèdes, ce qui regarde ailleurs, et demande une imagination supplémentaire, un « hors cadre » dans le déroulement même d’un cycle de fantaisies.
Christophe Sirodeau les joue d’abord en musicien, laisse émaner les contrechants, guette les harmonies qui entre les deux mains se diffractent, chantent les harmonies dans les polyphonies, et alors, comme chez Kempff – ou comme chez Katchen dans l’Opus 76 – les lignes se déploient, dorant encore plus les mystères des paysages. C’est admirable de bout en bout, senti, porté, et dans un piano d’autant plus somptueux que cela se garde du moindre effet. Le poète parle.
Ce disque-là ne doit pas du tout passer inaperçu et pas plus le précédent chez Melism de cet artiste qui aime révéler du rare. Tirer de l’oubli absolu deux œuvres d’Hanuš Winterberg, survivant de Theresienstadt et inaperçu par ceux qui auront revisité la liste des Entartete Komponisten, c’était révéler un compositeur de première force qui peut maintenant rejoindre Krása et Ullmann. La Première Sonate de 1936 est saisissante, d’abord par le récitatif de l’Adagio, la Suite, sévère et âpre, confirme l’importance d’un œuvre qui reste à découvrir.
C’est le revers d’un album dont l’envers est en contraste un paradis : trois opus du Feinberg des années 1910, plein d’efflorescences et de caprices, où il est rejoint par le violon élancé de Nina Pissareva Zymbalist pour une sonate méconnue, puis pour le seul piano, une Fantaisie mystérieuse, et une Suite de 1919 magique à force de poésie, Scriabine y paraît comme un Dieu ailé.
Tout cela, Feinberg comme Winterberg, enregistré en première mondiale d’après les manuscrits !
LE DISQUE DU JOUR
Johannes Brahms (1833-1897)
4 Klavierstücke, op. 119
(2 extraits : Nos. 1 & 2)
7 Fantasien, Op. 116
(4 extraits : Nos. 4, 5, 6 & 2)
8 Klavierstücke, Op. 76
(4 extraits : Nos. 3, 4, 6 & 7)
3 Intermezzi, op. 117
Intermezzo en la majeur, Op. 118 No. 2
Christophe Sirodeau, piano
Un album du label Melism MLS-CD-022
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Samuil Feinberg
(1890-1962)
Sonate pour violon et piano No. 1, Op. 12 (version originale, 1917)
Fantaisie pour piano No. 1, Op. 5
Suite No. 1 pour piano,
Op. 11 (Quatre pièces en forme d’études)
Hanuš Winterberg (1901-1991)
Sonate pour piano No. 1
Suite 1945, « Theresienstadt »
Christophe Sirodeau, piano
Nina Pissareva Zymbalist, violon
Un album du label Melism MLS-CD-011
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Photo à la une : le pianiste Christophe Sirodeau – Photo : © Victoria Page