Apogée du violon

L’admirable corpus de concertos qu’a laissé Tartini effraye les violonistes depuis toujours, hélas, car dans son art à la fois évocateur et brillant, il aura porté à son apogée ce violon orphique qu’il aura ravi à Vivaldi et offert à Mozart par le truchement de son père.

Dans le grand concert du XVIIIe siècle, aucun ensemble écrit pour le violon ne peut l’égaler, si ce n’est ceux bien plus concis de Leclair et Mozart. Leclair, lui-même violoniste virtuose, admira sans frein les opus de Tartini, et s’efforça comme lui d’effectuer cette transition du baroque vers le classicisme, que soulignent avec infiniment de subtilités Choucanne Siranossian et Andrea Marcon, ressuscitant le discours tissé de trilles, de gammes, d’appoggiatures qui font tout le sel de l’art de Tartini.

Les concertos sélectionnés ne sont pas parmi les plus courus, et s’y ajoute même un inédit enregistré en première mondiale, un Concerto en sol majeur retrouvé tout récemment à Padoue. Les teintes vénitiennes de ces interprétations élégantes mettent l’accent sur l’héritage vivaldien, alors qu’au long du disque d’Evgeny Sviridov, ce sont des concertos de plus grand apparat qui sont choisis, majestueusement phrasés par l’archet généreux qui caresse un sublime violon signé par Januarius Gagliano : la profondeur de son médium, son aigu de voix humaine, donnent un relief saisissant au Concerto en ré majeur, le D. 24, où l’on croit la cadence du Finale de la main de Pisendel) : un grand concerto aux envolés magnifiques. Tout le disque est éblouissant, autant par la virtuosité que par la poésie : écoutez seulement l’Allegro du Concerto en sol mineurEvgueny Sviridov intègre un Capriccio de Nardini. Merveille de style galant, le Concerto en mi majeur inspire aussi au violoniste toute une poésie de babilmages, trilles, gammes, appogiatures, qu’il lie d’un seul trait.

Mais il faut aussi entendre Evgeny Sviridov délesté des décors de l’orchestre, découvrir l’autre face du génie de Tartini, qui donna naissance à d’étonnantes sonates narratives. Le jeune violoniste laisse de côté la plus célèbre (Le Trille du Diable), lui préférant la Didone abbandonata et sa poésie mélancolique, œuvre qui touche au sublime et qu’il joue avec une élégance folle. Le disque s’ouvre par une vocalise de violon inspiré par un poème du Tasse, et donne le ton d’un album fascinant où les trois musiciens ouvrent les portes de cet univers secret avec art. Un aussi beau doublé ne doit pas rester sans suite.

Les ultimes Sonates que Tartini coucha dans la solitude de sa vieillesse sont des merveilles de nostalgie et d’invention, elles figurent au nombre de ses œuvres les moins courues. Pour en faire mieux sentir la singularité, David Plantier et Annabelle Luis contrastent les quatre ultimes opus avec une Sonate antérieure de trente année, et lui font succéder la Sonate en imitation de la guitare portugaise qui est l’un des ouvrages les plus étonnants jamais coulés de la plume du compositeur et dont les effets sont autrement poétiques que ceux du Trille du Diable. La singularité du génie de Tartini, parvenu à une liberté souveraine, et tirant des sonorités inouïes des deux instruments de la même famille, éclate tout au long de cet album précieux qui laisse espérer que le temps d’une juste réévaluation de son œuvre soit enfin venu.

LE DISQUE DU JOUR

Giuseppe Tartini (1692-1770)
Concerto pour violon, cordes et basse continue en mi mineur, D. 56
Concerto pour violon en la majeur, D. 96
Concerto pour violon en ré mineur, D. 45
Concerto pour violon en sol majeur
Concerto pour violon en ré mineur, D. 44

Chouchane Siranossian, violon
Venice Baroque Orchestra
Andrea Marcon, direction
Un album du label Alpha 596
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Giuseppe Tartini
Concerto pour violon en ré majeur, D. 24
Concerto pour violon en sol mineur, D. 85 (Op. 1 No. 1)
Concerto pour violon en la majeur, D. 89 (Op. 1 No. 6)
Concerto pour violon en mi mineur, D. 55
Concerto pour violon en mi majeur, D. 48

Evgeny Sviridov, violon
Millenium Orchestra
Un album du label Ricercar RIC414
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Giuseppe Tartini
Sonate XV en sol majeur, B. G3 « del Tasso »
Sonate X en sol mineur, B. g10 detta « Didona abandonata »
Sonate XII en fa majeur, B. F4
Sonate V en mi mineur, B. e6
Sonate XVII en ré majeur, B. D2 « del Tasso »
Pastorale en la majeur, B. A16

Evgeny Sviridov, violon
Davit Melkonyan, violoncelle
Stanislav Gres, clavecin
Un album du label Ricercar RIC391
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Giuseppe Tartini
Vertigo – The Last Violin Sonatas

Sonate pour violon et violoncelle en la mineur, Brainard a8
Sonate pour violon et violoncelle en la majeur, Brainard A4
Sonate pour violon et violoncelle en ré mineur, Brainard D19
Sonate pour violon et violoncelle en ré mineur, Brainard d5
Sonate pour violon et violoncelle en ré majeur, Brainard D9

David Plantier, violon
Annabelle Luis, violoncelle
Un album du label Muso MU040
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Photo à la une : le violoniste Evgeny Sviridov – Photo : © DR