L’opéra-conte de Dvořák a de la chance depuis que Robert Carsen s’en est emparé avec sa théorie du dédoublement pour sa mise en scène de Bastille. D’autres propositions ont suivi, toutes pertinentes et parfois absolument renversantes, comme celle de Stefan Herheim pour La Monnaie de Bruxelles, iconoclaste à souhait.
Pour Glyndebourne, Melly Still réinvestit pleinement la dimension du conte, en soignant l’onirisme : sa mise en scène dans les bleus nocturnes où se mêlent les univers des deux côtés de l’eau prouve par sa fluidité et ses subtilités qu’elle a saisi tous les enjeux d’une œuvre qu’elle connaît sur le bout des doigts. Voici dix ans, elle en proposait déjà une première réalisation, cette fois elle aura décidé de passer au-delà des archétypes des personnages, dévoilant la dimension humaine de chacun et pas seulement celle de Rusalka.
Elle refuse d’enfermer le conte dans un carcan défini comme l’avait fait David Pountney avec sa nursery victorienne pour sa production de l’ENO qui fit grand bruit, elle gagne ainsi en liberté, ce qui lui permet pour le bal des effets surprenants jusque dans cette party des années cinquante comme échappée de la gentry londonienne. Spectacle aussi exemplaire que troublant, innervé par une direction d’acteurs virtuose dont la caméra inspirée de François Roussillon ne perd pas une miette.
Distribution parfaite, Sally Matthews donnant à sa nymphe une troublante humanité qui s’incarne dans l’étoffe profonde de sa voix de grand caractère, Prince héroïque (de timbre et de physique) selon Evan Leroy Johnson et qui laisse voir derrière la passion ses fêlures, Ježibaba grand teint de Patricia Bardon, et quel Vodník terrible qu’Alexander Roslavets.
Sur ce spectacle empli de mystère, Robin Ticciati déploie un orchestre atmosphérique, épice supplémentaire qui accroit la magnificence de ce conte noir.
LE DISQUE DU JOUR
Antonín Dvořák (1841-1904)
Rusalka, Op. 114, B. 203
Sally Matthews, soprano (Rusalka)
Evan Leroy Johnson, ténor (Le Prince)
Alexander Roslavets, basse (Vodník)
Patricia Bardon,
mezzo-soprano (Ježibaba)
Colin Judson,
ténor (Le Garde forestier)
Alix Le Saux,
mezzo-soprano (Le Garçon de cuisine)
Zoya Tsererina, soprano (La Princesse étrangère)
Vuvu Mpofu, soprano (Première nymphe des bois)
Anna Pennisi, mezzo-soprano (Deuxième nymphe des bois)
Alyona Abramova, mezzo-soprano (Troisième nymphe des bois)
Adam Marsden, baryton (Le chasseur)
The Glyndebourne Chorus
London Philharmonic Orchestra
Robin Ticciati, direction
Melly Still, mise en scène
Un DVD du label Opus Arte OA1302D
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Photo à la une : © Glyndebourne