Harry Halbreich était en train de boucler le catalogue de l’œuvre de Bohuslav Martinů lorsqu’il apprit qu’on venait de retrouver le Concerto écrit pour Samuel Dushkin au début des années trente. Qu’allait-il dévoiler, une partition d’importance ou un ouvrage secondaire comme le laissait craindre la genèse complexe d’une œuvre que le compositeur comme son commanditaire avaient préféré oublier ?
Trop tard, le catalogue était parti chez l’imprimeur, on était en 1968, le Concerto attendrait encore cinq ans avant que Josef Suk ne s’en empare et le crée sous la direction de Sir Georg Solti avant de l’enregistrer en première mondiale pour Supraphon avec l’Orchestre Philharmonique Tchèque et Václav Neumann en novembre 1973, profitant des mêmes sessions pour graver le Deuxième Concerto.
Le disque fut chichement distribué à l’Ouest, et les Concertos pour violon de Martinů restèrent les parents pauvres de sa discographie avant un relatif retour en grâce du Second, œuvre toute lyrique écrite pour l’archet chantant de Misha Elman auquel Martinů évita l’écriture virtuose qu’il avait consenti à Dushkin pour le Premier, lequel le poursuivit de sa légendaire noria de corrections et de suggestions, oubliant que si Stravinski, qu’il avait guidé pour la composition de la partie solistique du Concerto ne connaissait guère les secrets de l’écriture violonistique, il ne pouvait en conter à Martinů, violoniste de formation.
Coup de théâtre, le Concerto de 1933, malgré sa genèse malheureuse est un chef-d’œuvre, dans lequel Martinů fait exploser son orchestre – celui de ses symphonies à venir s’y trouve déjà – et conduit le violoniste au-delà du possible, en particulier dans la toccata du Finale, ce qui explique qu’il y ait aussi peu d’appelés que d’élus, Josef Suk n’ayant trouvé de véritable équivalent que chez Thomas Albertus Irnberger (Gramola), Bohuslav Matoušek ne parvenant pas au même degré d’embrasement sonore, Isabelle Faust en étant restée hélas à ce jour au Second Concerto.
Evidemment, je me disais bien qu’un de ces jours, Frank Peter Zimmermann, lancé dans ce qui commence à constituer une anthologie des concertos pour violon du XXe siècle, y viendrait ; c’est chose faite et sous les meilleurs auspices : la prise de son est formidable (même si celle des ingénieurs de Gramola pour la version de Thomas Albertus Irnberger me semble plus spacieuse), l’accompagnement foudroyant de Jakub Hrůša et des Bamberger, rompus aux idiomes rythmiques et à la poétique de Martinů, lui permet toutes les folies de virtuosité dont il est capable – écoutez seulement la section centrale du Finale du Premier Concerto, où son archet jongle avec les percussions. Mais Hrůša sait aussi peindre dans le Deuxième Concerto, ou dans l’Andante du Premier, les paysages sonores où peut s’épancher le lyrisme du violoniste.
Doublé parfait, mais qui vaut d’abord pour un Premier Concerto fulgurant, qui saisit toutes les audaces d’une partition majeure. Pour le Second, les gestes plus amples de Josef Suk et d’Isabelle Faust, l’écho de la création par Misha Elman et Serge Koussevitzky ou encore le ton très Bartók d’Irnberger forment autant de vraies alternatives.
Au lieu de poursuivre dans les œuvres concertantes de Martinů – pour souligner encore la relation Martinů–Dushkin il aurait pu enregistrer la première version de la Suite concertante -, Frank Peter Zimmermann referme ce nouvel opus par une lecture épurée, classique, parfaite de la Sonate pour violon seul de Béla Bartók. Serait-ce pour signifier qu’il place les deux héros de son nouvel album au même degré ?
LE DISQUE DU JOUR
Bohuslav Martinů
(1890-1959)
Concerto pour violon et orchestre No. 2, H. 293
Concerto pour violon et orchestre No. 1, H. 226
Béla Bartók (1881-1945)
Sonate pour violon seul,
Sz. 117
Frank Peter Zimmermann, violon
Bamberger Symphoniker
Jakub Hrůša, direction
Un album du label BIS Records BIS 2457
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Photo à la une : le violoniste Frank Peter Zimmermann – Photo : © DR