Un prélude d’arpèges, peut-être de Johann Sebastian Bach, ouvre l’espace sonore de l’émouvant clavecin qu’Andrea Restelli créa en 1998 d’après le splendide instrument de Christian Vater conservé au Musée allemand de Nuremberg. Francesco Corti, ayant pris sa respiration dans l’instrument, y coud l’Allemande de la Quatrième Suite française, qui chante, et fait éclore une ligne tenue dont on ne croirait pas le clavecin capable.
Tout l’art de ce mage paraît soudain, et il m’évoque ce legato improbable et pourtant avéré que Scott Ross suscitait. Francesco Corti serait-il de cette race de sorcier ? Son Bach vocal, aux teintes mélancoliques, phrasé dans l’harmonie, est un miracle de fluidité et d’éloquence à la fois, et lorsqu’il devra danser il dansera, les pas des doigts sur le clavier faisant briller les polyphonies, un giocoso subtil n’éloignant pas pour autant la nostalgie.
Tout le disque, artistement composé, pioche dans le livre de musique de la famille Bach, et montre le génie de Johann Sebastian compilant ce qui lui donne sa structure – les Kuhnau, étonnants de caractères -, voire sa rhétorique, et comment il en fait son miel, leur agglomérant la fantaisie lyrique de François Couperin dont il note Les Bergeries, et magnifiant dans le corps mince de l’instrument les fantaisies de timbre des insruments de Telemann, cet ami qu’il admirait à juste titre.
Tout ce tendre voyage, qui passe aussi par l’ostinato d’une Polonaise de Hasse, par le rapport à l’orgue (et l’orgue d’un autre, celui de Georg Böhm, dont Bach fut curieux plus que tout autre, l’ayant éprouvé en tant que praticien), trouvera une échappée belle dans le sensible avec le Capriccio sur le départ du frère bien-aimé, dit comme le plus intime de ce que l’on peut dire, et assez formé, de sentiments et de notes, et par moment français comme Froberger savait l’être aussi, pour le montrer. Puis en postlude, intime encore, cette prière mesurée, belle comme du Couperin jusque dans ses ornements, Wer nun den lieben Gott läßt walten.
Derrière le portrait intime de Bach, Francesco Corti ôte le masque, et désigne son clavecin, cet instrument sensible tel une âme, la sienne.
LE DISQUE DU JOUR
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Praeludium en mi bémol majeur, BWV 815a
Suite française No. 4 en mi bémol majeur, BWV 815
Praeludium, Fugue et Allegro en mi bémol majeur, BWV 998
Capriccio sopra la lontananza del fratello dilettissimo, BWV 992
Wer nun den lieben Gott läßt walten, BWV 691
Johann Kuhnau (1660-1722)
Suonata Quarta e nut mineur
Johann Adolf Hasse (1699-1783)
Polonaise en sol majeur (BWV Anh. 130)
Georg Böhm (1661-1733)
Praeludium, Fugue et Postludium en sol mineur
François Couperin (1668-1733)
Rondeau en si bémol majeur (BWV Anh. 183)
Georg Philipp Telemann (1681-1797)
Ouverture en mi bémol majeur, TWV 55:Es4 (arr. pour clavier)
Francesco Corti, clavecin
Un album du label Arcana A480
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Photo à la une : le claveciniste Francesco Corti – Photo : © DR