L’alto était devenu cet instrument d’orchestre, méprisé des compositeurs, qui n’avaient plus écrit pour lui d’ouvrages concertants majeurs depuis la Symphonie concertante de Mozart, oubliée elle-même, pire !, d’opus d’importance. Seul Brahms lui avait donné une nouvelle identité au sein de ses Quatuors, Quintettes, Sextuors, le joignant même à la voix d’alto pour deux berceuses, et laissant le choix pour deux Sonates, clarinette ou alto.
L’avènement de Lionel Tertis comme premier alto de l’orchestre formé par Sir Thomas Beecham allait changer le destin de l’instrument. Déjà, les mélomanes avaient remarqué au sein des divers quatuors auquel il avait participé la singularité de son timbre, l’ampleur de sa sonorité, mais désormais lancé dans le gotha londonien, ce trentenaire brillant devint l’ami des compositeurs, et tous voulurent écrire pour lui, des Sonates, des Suites, des Pièces de fantaisie, des Trios et finalement des Concertos, de Bax à Holst, de Vaughan Williams à Walton.
Le disque illustra marginalement ce répertoire de création, peu vendeur ; il paraît dans le coffret aux repiquages somptueux de trois CDs qu’assemble Biddulph, avec des pièces brèves d’Ireland, McEwen, Dale, la seule pièce d’importance étant la Deuxième Sonate de Delius que Tertis se sera approprié à l’alto avec la bénédiction du compositeur, merveille que complétait en dernière face la Sérénade d’Hassan.
Mais tout le grand répertoire abordé par Tertis y figure, de la Symphonie concertante de Mozart où il chante éperdument, mêlant sa voix d’alto au violon chaleureux d’Albert Sammons (immense violoniste qui mériterait de voir ses enregistrements rassemblés dans un coffret d’hommage, Biddulph y songerait-il ?) au Trio Op. 99 de Schubert où Ethel Hodbay les rejoint. Perle de cet ensemble composite, la Sonate de Dohnányi avec le piano de haute école de William Murdoch !
Une génération plus tard, William Primrose devait hériter d’une bonne part du répertoire conçu pour Tertis, mais la nature sonore totalement différente, pour ne pas écrire absolument opposée, de son alto sombre, aux registres contrastés, à la virtuosité plus purement instrumentale, devait l’amener à inspirer lui aussi quantité de compositeurs, l’exemple le plus célèbre restant le Concerto pour alto que Béla Bartók n’eut pas le temps d’achever. Etrange, son enregistrement avec Tibor Serly ne figure pas dans la vaste anthologie assemblée par Biddulph, qui d’ailleurs exclut tout concerto sinon l’arrangement par Casadesus d’une partition de Haendel.
C’est donc le versant chambriste de Primrose qui se trouve documenté ici, et par des gravures souvent célèbres de sa collaboration avec Jascha Heifetz et Emanuel Feuermann, ou la Sonate de Brahms avec William Kapell, merveilles évidemment mais si connues des amateurs ! Alors il faudra chercher entre les « hits » quelques pages moins courues, les Sonates de Bax ou de Hindemith, le Soliloquy and Dance de Harris, les deux Saudades do Brasil de Darius Milhaud, pour mieux s’émerveiller à l’écoute des deux Chants de Brahms, où il retrouve Marian Anderson.
LE DISQUE DU JOUR
Lionel Tertis : Critics’ Choices for Viola
Vocalion and Columbia Highlights
Œuvres de Bach, Brahms, Delius, Dohnányi, Dunhill, Fauré, Fuchs, Grieg, Haendel Ireland, Korngold, Kreisler, Mendelssohn, Mozart, Schubert, Tod Boyd, Dale, McEwen, Tertis, Sulzer
Lionel Tertis, alto
Albert Sammons, violon
Ethel Hobday, piano
Frank St. Leger, piano
George Reeves, piano
William Murdoch, piano
London Philharmonic Orchestra
Hamilton Harty, direction
Un coffret de 3 CD du label Biddulph LAB3057
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William Primrose : Critics’ Choices for Viola
Selected Collector’s Recordings, 1938-1947
Œuvres de Bach, Bax, Benjamin, Brahms, Casadesus, Dohnányi, Graun, Haendel, Harris, Haydn, Hindemith, Kreisler, Milhaud, Mozart, Vale, etc.
William Primrose, alto
Jascha Heifetz, violon
Albert Spalding, violon
Emanuel Feuermann, violoncelle
André Benoist, piano
David Stimmer, piano
Harriet Cohen, piano
Jesus Maria Sanrome, piano
Johanna Harris, piano
Vladimir Sokolov, piano
William Kappell, piano
Franz Rupp, piano
Yella Pessi, clavecin
Marian Anderson, contralto
Victor Symphony Orchestra
Frieder Weissmann, direction
Un coffret de 3 CD du label Biddulph LAB3058
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Photo à la une : l’altiste Lionel Tertis, avec le compositeur Ralph Vaughan Williams – Photo : © Albion Music