Romantique Christian Thielemann ? Ses Gurre-Lieder tirés au cordeau, d’une précision fanatique, feront mentir la légende. Au revers du poème gothique qu’exaltait János Ferencsik dans la nuit sans lune du génial concert danois publié par EMI, Thielemann met tout en lumière jusqu’à risquer la radiographie.
Sa balance est parfaite, exactement reprise à celle qu’avait instaurée Giuseppe Sinopoli lors de son enregistrement avec la même Staatskapelle, les tempos amples qui font tout entendre ne traînent pourtant pas, emportant la Tove ardente de Camilla Nylund, disciplinant le Waldemar de Stephen Gould que le chef ne veut pas voir tirer vers Tristan. Au blasphème, il l’étouffera d’un orchestre saisissant par l’exactitude du crescendo ; c’est comme si le monde s’écroulait.
La puissance aiguisée des crescendos est certainement l’un des secrets de cette lecture que d’aucuns jugeront trop distante, mais qu’ils écoutent simplement les scansions avec lesquelles Thielemann guide le Sprecher fabuleux de Franz Grundheber, qui met à sa divagation poétique comme un souvenir de celle d’Hans Hotter (son « Ach !, war das Licht ») : l’éclectisme des styles qui se télescopent au long de ce poème d’opéra, Thielemann entend bien les unifier, affirmant cet univers où le passé et le futur se fondent en une unique unicité.
Les couleurs de la Staatskapelle font un crépuscule diaphane, irréel, et un lever de soleil aveuglant qui sature d’or le vaisseau du Semperoper. Dans la course horrifique de ce poème nocturne, la plainte expressionniste de la Waldtaube de Christa Mayer, la folie ricanante d’un extravagant Klaus-Naar (Wolfgang Ablinger-Sperrhacke) font deux moments stupéfiants, Thielemann les plaçant comme en marge du flux général en leur donnant un relief supplémentaire.
Toute grande version, qui doit s’apprivoiser.
LE DISQUE DU JOUR
Arnold Schönberg (1874-1951)
Gurre-Lieder
Stephen Gould, ténor (Waldemar)
Camilla Nylund, soprano (Tove)
Christa Meyer, mezzo-soprano (Waldtaube)
Markus Marquardt, baryton (Bauer)
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, ténor (Klaus-Narr)
Franz Grundheber (Sprecher)
Sächsischer Staatsopernchor Dresden
MDR-Rudfunkchor
Sächsische Staatskapelle Dresden
Gustav Mahler Jugendorchester
Christian Thielemann, direction
Un album du label Hänssler/Profil PH20052 (Edition Staatskapelle Dresde Vol. 50 )
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Photo à la une : le chef d’orchestre Christian Thielemann –
Photo : © Matthias Creutziger