Après la France de Couperin, l’Italie de Vivaldi. Benjamin Alard continue d’herboriser chez le jeune Bach qui faisait déjà son miel de concerts des goûts étrangers, manière de former sa langue même chez celles des autres. Transcrire chez lui n’est jamais copier, Vivaldi, repris dans sa plume, gagne en cohérence, il y remet la fantaisie dans un ordre où elle paraît plus brillante, le clavecin se substituant à l’orchestre (et sous les doigts de Benjamin Alard, chez Bach même, le clavecin se substituant à l’orgue pour les Concertos, BWV 593, 596 et 592), et le faisant entendre entier, dans toutes ses couleurs, ses espaces, ses fantaisies et ses nostalgies.
Le défi a toujours été de taille, les clavecinistes tentant leur Bach ne vont pas si souvent à ces opus regardés parfois d’abord comme des travaux d’atelier, et puis les décalques des styles peuvent en troubler plus d’un qui épanouira son art plus surement aux Suites ou aux Partitas.
Benjamin Alard est puissamment chez lui dans les deux disques de clavecin, faisant tout chanter, dans une exultation des mélodies, et des débordements de gestes qui pourtant préfèrent la vocalité à la danse ; peu importe, cette dernière est omniprésente, on l’entend malgré le grand geste solaire que déploie le claveciniste dans deux instruments gorgés de couleurs.
Le nuancier du très ample Philippe Humeau d’après Fleischer crée dans son grand jeu à pédalier des espaces sonores enivrants qui peuvent par la magie du jeu sans peine concurrencer l’orgue pour les couleurs, les phrasés et les accents étant autrement vifs.
Merveille, le clavecin à un clavier de facture italienne (Mattia de Gand, Rome, 1702, joyau du Musée Santa Caterina de Trevise) est si riche de registres et si éloquent que tout un univers lagunaire jaillit de sa belle caisse ; Benjamin Alard sait en le maniant créer la surprise : écoutez le Largo du Concerto, BWV 980, ce petit théorbe, soudain, qui vous serre le cœur !
Ah oui, c’est bien Venise qui anime le génie de Bach, qu’on retrouve dans ses propres couleurs, pour ainsi dire avec ses propres habits, au long du disque d’orgue. Quelques Chorals espacent la stupéfiante retranscription du Concerto « Grosso Mogoul », dont les teintes tour à tour moirées ou astringentes du Silbermann de Marmoutier se saisissent avec poésie, d’avec la grande Toccata en ut majeur, vrai concerto grosso dont le jeu flamboyant de Benjamin Alard avive encore les grands décors comme l’écriture altière.
LE DISQUE DU JOUR
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
The Complete Works for Keyboard, Vol. 4 “Alla Veneziana”
Concerto en sol majeur, BWV 973
Concerto en sol mineur, BWV 975
Concerto en si mineur, BWV 979
Concerto en ré majeur, BWV 972
Fantaisie et Fugue en la mineur, BWV 944
Concerto en ré mineur, BWV 974
Prélude et Fugue en la mineur, BWV 894
Concerto en sol majeur, BWV 980
Concerto pour orgue en la mineur, BWV 593
Concerto en fa majeur, BWV 978
Concerto pour orgue en ré mineur, BWV 596
Concerto en ut majeur, BWV 976
Prélude et Fugue en sol mineur, BWV 535
Concerto pour orgue en sol majeur, BWV 592
Fantaisie et Fugue en sol mineur, BWV 542 (Fugue)
Concerto pour orgue en ut majeur, BWV 594
Wo soll ich fliehen hin, BWV 694
Trio pour orgue en ré mineur, BWV 583
Valet will ich dir geben, BWV 736
Trio super „Allein Gott in der Höh sei Ehr“, BWV 664
Wir glauben all an einen Gott, BWV Anh. 69
Vom Himmel hoch, da komm ich her, BWV Anh. 65
Freu dich sehr, o meine Seele, BWV Anh. 52
Jesu, meine Freude, BWV Anh. 58
Toccata, Adagio et Fugue en ut majeur, BWV 564
Benjamin Alard, clavecin, orgue
Un album de 3 CD du label harmonia mundi HMM 902460.62
Acheter l’album sur le site du label harmonia mundi ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : le claveciniste Benjamin Alard – Photo : © DR