Vasily Petrenko aurait pu engager son cycle Richard Strauss avec une de ces formations anglaises qu’il affectionne tant : elles ont tout Strauss à leur répertoire et l’ont enregistré à plusieurs reprises. Solution de facilité. Non, il aura choisi le Philharmonique d’Oslo, ses couleurs claires établissant une balance où sa direction svelte, ses tempos prestes envolent les œuvres. L’orchestre de Strauss fut-il aussi ailé depuis les propres gravures du compositeur, et certaines de Karl Böhm ?
Ainsi parla Zarathoustra est enivrant de pure virtuosité, sa philosophie évite toute grandiloquence dès le portique qui rayonne au lieu d’asséner. La vivacité du dyptique formé des deux Don Juan et Till Eulenspiegel rappelle Ferenc Fricsay par la fulgurance des attaques, l’ironie des accents, la verve des récits, le geste piquant, toutes choses demeurées perdues depuis. Cette manière de tout alléger, d’ignorer le pathos métamorphose Mort et Transfiguration mais aussi Une vie de Héros, sans plus aucune redondance (et comment Petrenko abrase la bataille, hérissant d’attaques cinglantes la grande machine bruitiste que tant transforment en division de panzers…), et où brille l’archet capricieux d’Elise Båtnes.
Don Quichotte surprendra par son ton de pur divertissement, très illustratif, Louisa Tuck se saisissant du personnage, de son archet vif. Sommet de ce cycle, la Symphonie alpestre, prodigieuse d’invention, dont Vasily Petrenko fait entendre toutes les audaces, poème sonore d’une acuité visuelle inouïe. J’espère déjà demain la Domestica, Le Bourgeois gentilhomme, Métamorphoses et Burleske !
Plus attendu, l’album Rimski-Korsakov prend comme à revers le Capriccio espagnol, Petrenko soignant la poésie avant le brio, qui ici va de soi ; l’œuvre y gagne un lyrisme singulier. Est-ce la proximité durant les séances d’enregistrement avec La Grande Pâque Russe, elle aussi plus formée en poème qu’en pièce de concert ? Tout deux font un prélude à une Schéhérazade inouïe d’imagination sonore, de fantaisie, Petrenko suscitant une narration continue où le violon d’Elise Båtnes déploie ses sortilèges. Le Conte du Prince Kalendar est pure magie.
Retour à Prokofiev. Après sa relecture radicale de Roméo et Juliette, j’espérais Cendrillon, mais non, Vasily Petrenko préfère mesurer son orchestre à la redoutable 5e Symphonie. Ils n’en font qu’une bouchée, convoquant d’ailleurs l’esprit du ballet dans l’Allegro marcato, avant que l’implacable marche lente conduisant à l’explosion de la coda ne paraisse : écoutez comment pas à pas, en timbres sarcastiques, le crescendo est conduit, comment soudain il s’emballe, coup de génie !, avant le morne de l’Adagio qui fait écho au pâle soleil entrevu dans l’Andante, tant de poésie qu’un Finale sur les pointes, joueur, avivera encore.
Belle idée, prendre en complément non pas dans le catalogue de Prokofiev, mais dans celui de son ami Nikolai Miaskovsky. La 27e, ballade d’un sombre lyrisme, est une de ses symphonies des années quarante que la guerre force au tragique. Entre les deux Andante qu’il détaille avec éloquence à force de nuance, Vasily Petrenko fait fuser le petit Allegro avant que ne s’élève la grande phrase amoroso qu’Evgueny Svetlanov emportait comme dans un torrent, et qu’il modèle avec art.
Et si l’entreprise se poursuivait, faisant dialoguer ces deux génies de la musique russe du XXe siècle si différents ? Ce serait justice pour Miaskovsky dont l’immense corpus avait perdu avec la mort d’Evgueny Svetlanov son ultime avocat.
LE DISQUE DU JOUR
Richard Strauss (1864-1949)
Eine Alpensinfonie, Op. 64, TrV 233
Tod und Verklärung, Op. 24, TrV 158
Oslo Philharmonic
Orchestra
Vasily Petrenko, direction
Un album du label LAWO Classics LWC1192
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Richard Strauss (1864-1949)
Also sprach Zarathustra, Op. 30, TrV 176
Ein Heldenleben, Op. 40, TrV 190
Oslo Philharmonic
Vasily Petrenko, direction
Un album du label LAWO Classics LWC1166
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Richard Strauss (1864-1949)
Don Quixote, Op. 35, TrV 184
Don Juan, Op. 20, TrV 156
Till Eulenspiegels lustige Streiche, Op. 28, TrV 171
Oslo Philharmonic
Vasily Petrenko, direction
Un album du label LAWO Classics LWC1184
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Nikolai Rimski-Korsakov (1844-1908)
Capriccio espagnol, Op. 34
Ouverture “La Grande Pâque Russe”, Op. 36
Schéhérazade, Op. 35
Oslo Philharmonic
Vasily Petrenko, direction
Un album du label LAWO Classics LWC1198
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Sergei Prokofiev (1891-1953)
Symphonie No. 5 en si bemol majeur, Op. 100
Nikolai Miaskovski (1881-1950)
Symphonie No. 21 en fa dièse mineur, Op. 51
Oslo Philharmonic
Vasily Petrenko, direction
Un album du label LAWO Classics LWC1207
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Photo à la une : le chef d’orchestre Vasily Petrenko – Photo : © DR