Un jour que je traînais chez Harold Moore, fouillant au rayon Berlioz, j’y trouvais une version des Nuits d’été par une mezzo-soprano dont le nom m’évoquait vaguement quelque chose. Rentré à l’hôtel qui disposait d’un méchant pick-up, je faisais tourner la galette et cédait à la poésie insensée de cette voix qui m’évoquait celle d’Aafje Heynis : le feu sous la glace.
Soudain, je me souvenais d’un ancien microsillon Argo, tout entier dédié à Haendel, et d’une belle brune au chignon impeccable en couverture. Elle refera plus tard les Nuits pour Chandos, avec Yan Pascal Tortelier, et comme ses premières, les nouvelles passeront inaperçues en France qui n’aura comme cela pas même le loisir de les oublier … mais alors, vergogna a me ! J’avais absolument négligé qu’elle avait enregistré pour le même label sponsorisé par la RTE (Eire Radio Television) les Kindertotenlieder et les Lieder eines fahrenden Gesellen, et pas plus aperçu que Naxos les avait inscrits pour deux kopecks à son catalogue.
Ah mon Dieu !, elle a la voix absolue des Kindertotenlieder, son mezzo étant de couleur contralto, et soutenue par la prière ou la tempête dont l’enveloppe János Fürst, mahlérien oublié, comme cela vous va au cœur ! Des mêmes sessions, des Lieder eines fahrenden Gesellen élégiaques, désespérés, assassinés, désabusés (Die zwei blauen Augen) sont aussi anthologiques.
Tout cela faisait un microsillon qui n’a guère passé la mer d’Irlande, et se trouve maintenant partout et probablement assez ignoré pourtant, auquel Naxos ajoute, pris probablement en concert, ou fait pour la radio, sept années plus tard, les Rückert, si immédiatement émouvants (écoutez son « stille » dans un Ich bin der Welt abhanden gekommen venu de l’au-delà), jusque dans l’art d’une voix où le temps a mis sa patine mais qui n’a rien perdu de ses pouvoirs magiques.
Courrez à ce disque quasi donné !, si Naxos pouvait aussi reprendre ses Nuits, et le microsillon des Lieder de Brahms, quel bonheur ce serait !
LE DISQUE DU JOUR
Gustav Mahler (1860-1911)
Kindertotenlieder
Lieder eines fahrenden Gesellen
Rückert-Lieder
Bernadette Greevy, mezzo-soprano
National Symphony Orchestra of Ireland
János Fürst, direction
Franz-Paul Decker, mezzo-soprano
Un album du label Naxos 8.554156
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Photo à la une : la mezzo-soprano Bernadette Greevy – Photo : © DR