La belle idée !, essayer de rendre enfin justice à Bononcini, rival malheureux de Haendel à Londres, dont l’art ne manquait ni d’inspiration et moins encore de génie. Mais voilà, Haendel rayonna et Bononcini céda la place après une affaire de plagiat jamais élucidée.
La grande sérénade écrite sur un livret classique signa Ariosti (et très finement écrit, les personnages sont admirablement caractérisés en dehors même de leurs profils établis), devait divertir les courtisans de la reine de Prusse, Telemann en fut saisi d’admiration à raison : l’œuvre est merveilleuse, récitatifs ardents, airs rivalisant d’invention, instrumentation chamarrée, ses charmes agissent aujourd’hui comme hier, et au bout de quelques minutes, le génie mélodique de Bononcini finit d’imposer son univers.
Il écrit pour les des deux couples – les amants « nobles » (Aci et Galatea) et les amoureux pastoraux, le pécheur Glauco et la nymphe Sila – des airs aussi développés qu’inventifs, et dès les premières pages, je suis saisi par la poésie nostalgique du premier air de Glauco (« Nacque da’ lumi tuoi ») où déjà Bononcini fait entendre son cher violoncelle comme une seconde voix. Merveille, le grand mezzo d’Helena Rasker emporte ce chant dans le chatoiement de ses timbres.
La partition abonde en surprises, je vais d’étonnements en stupeurs : cette Circée virtuose dont les airs atomisent les intervalles, Haendel les eut-il jamais osés (et comment Lilya Gaysina vous les trousse !) ? Et Bononcini peut, pour le lamento, lui opposer les splendeurs du « Respira, alma, respira » de Galatea incarné avec tant d’émotion (et le souffle qui se suspend) par Roberta Invernizzi.
Basta !, l’affaire est entendue, mené avec brio par Dorothée Oberlinger : capté dans l’urgence du concert, ce Polifemo où João Fernandes met au cyclope sa voix pleine de caractère, est un feu d’artifices qui commande la résurrection des ouvrages lyriques de Bononcini : d’autres gemmes de l’époque de Berlin restent à découvrir, et les opéras écrits pour Naples, Londres, Vienne doivent renaître pour enfin nous enchanter.
LE DISQUE DU JOUR
Giovanni Battista Bononcini (1670-1747)
Polifemo
João Fernandes, basse (Polifemo)
Bruno de Sá, sopraniste (Aci)
Roberta Invernizzi, soprano (Galatea)
Helena Rasker, contralto (Glauco)
Roberta Mameli, soprano (Silla)
Liliya Gaysina, soprano (Circe)
Maria Ladurner, soprano (Venere)
Ensemble 1700
Dorothee Oberlinger, direction
Un album de 2 CD du label deutsche harmonia mundi 19439743802
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Photo à la une : la flûtiste Dorothee Oberlinger – Photo : © DR