La Toccata settima de Girolamo Frescobaldi, la Fantasia cromatica de Jan Pieterszoon Sweelinck donne le ton d’un pan de l’album : des musiques savantes et un rien roides où Jean Rondeau infuse, plutôt que la radiance de la forme, une intimité du ton, un sensible jusqu’au silence qui ouvre l’atelier de l’artiste, le sien comme ceux des compositeurs.
Technique évidemment invisible, qui rend les architectures fluides et transmue la rhétorique en poésie. Pourtant, le but de l’artiste, qui n’hésite pas à faire son clavecin moderne, est de tirer le versant italien plutôt vers l’abstraction que vers l’espressivo.
La seconde partie ultramontaine accentue encore cette impression, qui cumule deux Toccatas de Frescobaldi et une de Luzzascho Luzzaschi, avant que soudain tout danse dans les étourdissantes voltes du Ballo alla Polacha de Giovanni Picchi qui concluent chacun des épisodes italiens.
Aussi somptueux que soit le Humeau-Barbaste qui offre au claveciniste des espaces sonores démultipliés, c’est pourtant le virginal historique touché pour les Anglais, dont la sonorité de grande guitare est si singulière, qui offre à Jean Rondeau de quoi faire entendre cette mélancolie titrant son disque. Non pas une mélancolie sentimentale, mais une mélancolie amère, presque désespérée dans la magnifique transcription du Coulez mes pleurs de Philippe de Monte, qu’Antonio Valente s’est approprié au clavier.
La Lachrymae Pavan de Gibbons, trop brisée, ne trouvera pas la même singularité d’émotion, alors que le Scheidemann, les deux John Bull, la grande Pavan surtout, célèbrent une rêverie solitaire qui achève de faire de cet album le plus singulier mais aussi le moins accessible d’un claveciniste habitué à nous perdre autant qu’à nous trouver.
LE DISQUE DU JOUR
Girolamo Frescobaldi
(1583–1643)
Toccata settima, F 3.07 (extrait du « Toccate e partite d’intavolatura, Libro 2 – Roma, 1627 »)
Toccata quarta, F 2.04
Toccata prima, F 2.01 (extraits du « Toccate e partite d’intavolatura, Libro 1 – Roma, 1615 »)
Laurencinius di Roma (ca.1567–ca.1625)
Fantaisie de Mr. de Lorency (extrait du « Manuscrit Bauyn »)
Luigi Rossi (ca.1597–1653)
Passacaille Del Seigr. Louigi (extrait du « Manuscrit Bauyn »)
Gregorio Strozzi (1615–1687)
Toccata quarta per l’elevatione
(extrait des « Capricci da sonare Cembali, et Organi – Naples, 1687 »)
Jan Pieterszoon Sweelinck (1562–1621)
Fantasia cromatica
Giovanni Picchi (1571/1572–1643)
Ballo alla Polacha con il suo Saltarello
(extrait du « Intavolatura di Balli d’Arpicordo – Venice, 1618 »)
Luzzasco Luzzaschi (1545–1607)
Toccata del IV tuono (extrait du « Il Transilvano – Venice, 1625 »)
Bernardo Storace (ca.1637–ca.1707)
Recercar di Legature (extrait des « Selva di varie compositioni d’intavolatura per cimbalo ed organo – Venezia, 1664 »)
John Bull (ca.1562–1628)
Melancholy Pavan
Melancholy Galliard
Anonymous, attr. Heinrich Scheidemann (ca.1595–1663)
Pavana Lachrymae, WV 106
Antonio Valente (1520?- après 1580)
Sortemeplus, con alcuni fioretti d’après Philippe de Monte
(extrait de « Intavolatura de Cimbalo – Naples, 1578 »)
Orlando Gibbons (1583–1625)
Pavana No. CCXCII (extrait du « Fitzwilliam Virginal Book »)
John Dowland (1562–1626)
Lachrimae verae (No. 7 extrait des « Lachrimae, or Seaven Teares – London, 1604 »)
Jean Rondeau, clavecin, virginal
clavecin Philippe Humeau, Barbaste, 2007
virginal polygonal (arpicordo), Francesco Poggi?, Florence, ca. 1575
Un album du label Erato 0190295008994
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Photo à la une : le claveciniste Jean Rondeau – Photo : © Shura Rusanova/Warner Classics