Sémélé, fille d’Harmonie, mère de Dyonisos, convoitée, aimée mais foudroyée par Zeus, fut le sujet d’un épisode majeur de l’opéra anglais, en fait l’annonce de sa mort. John Eccles aura pourtant produit son chef-d’œuvre avec cet ouvrage magnifique où passe plus d’une fois le souvenir de Purcell qui est quasiment cité au long d’une admirable scène de sommeil. C’est tout un art de subtilité et d’élégance qui se referme ici, où transparaissent comme chez Purcell des influences françaises, et heureusement Anthony Rooley, dans un enregistrement aussi imparfait qu’attachant, en avait déjà révélé une part des beautés. L’ouvrage n’eut pas le temps de plaider sa cause, deux seules représentations à deux années de distance – 1705 et 1707 – avant que ne paraisse le génie de Haendel et l’invasion de l’opéra italien.
Bravo donc à l’équipe réunie par Julian Perkins dont les chanteurs caractérisent mieux des personnages hauts en couleurs mais qui aurait gagné à évoluer dans un orchestre plus chamarré. Du moins l’allant du théâtre est toujours là, doublé d’un certain esprit hérité des « Masques », l’œuvre contient tant de beautés qu’elle vous sera une singulière révélation que vous approfondirez en vous immergeant dans l’abondant livre qui accompagne cette édition particulièrement soignée. Et maintenant si les mêmes nous offraient The Judgment of Paris, l’autre collaboration (malheureuse pour d’autres raisons) d’Eccles avec William Congreve ?
Sémélé et sa malédiction : Haendel céda lui aussi à l’excellent texte du poète, mais il choisit non pas de poursuivre dans la voie de l’oratorio si brillamment illustrée par Saul cinq ans plus tôt, mais bien d’écrire une œuvre pour la scène en langue anglaise.
Le public qui avait goûté l’élévation biblique de Saul fut outré par une œuvre qu’il jugea obscène, et avec quelque raison. La structure même de la partition, son style entre deux mondes mirent également à mal une grande part des amateurs d’opéras, l’œuvre tomba alors même qu’elle était une des plus étonnantes propositions théâtrales de son auteur.
John Eliot Gardiner adore cette partition audacieuse, elle fut au programme de ses premiers enregistrements lyriques pour Michel Garcin. En 1981, les micros d’Erato saisissaient à Londres une version magnifique où brillaient d’abord le Jupiter d’Anthony Rolfe-Johnson et la Juno de Della Jones.
Revenant ici trente-huit plus tard pour un concert « semi-staged » (le DVD vient de sortir chez le même éditeur), il n’a rien abandonné du théâtre fastueux de sa première version mais a épuré son langage dramatique. Il a surtout trouvé une Sémélé au chant envoûtant, Louise Alder, qu’on comparera avec intérêt à Norma Burrowes : écoutez leurs airs du sommeil respectifs. Lucile Richardot fait tout ce que son art lui permet, mais ne ravit pourtant pas la palme à la Juno de Della Jones, Hugo Hymas est un Jupiter brillant mais sans l’élan d’Anthony Rolfe-Johnson.
L’autre merveille de la soirée est bien l’Athamas de Carlo Vistoli : écoutez sa réjouissance finale « Despair no more shall wound me ». Au terme de son long périple chez Bach, il faut espérer que demain John Eliot Gardiner, sans abandonner son cycle Monteverdi, revienne plus souvent mettre au service du Caro Sassone les trésors de son art.
LE DISQUE DU JOUR
John Eccles
(1668-1735)
Semele
Richard Burkhard,
baryton (Jupiter)
Helen Charlston,
mezzo-soprano (Juno)
Héloïse Bernard,
soprano (Iris)
Bethany Horak-Hallett, mezzo-soprano (Cupid)
Christopher Foster, baryton-basse (Somnus)
Jolyon Loy, baryton (Apollo)
Jonathan Brown, baryton (Cadmus)
Anna Dennis, soprano (Semele)
Aoife Miskelly, soprano (Ino)
William Wallace, ténor (Athamas)
Graeme Broadbent, basse (First Priest)
Rory Carver, ténor (Second Priest, First Augur)
James Rhoads, ténor (Third Priest, Second Augur)
Academy of Ancient Music
Cambridge Handel Opera
Julian Perkins, direction
Un coffret de 2 CD du label AAM012, agrémenté d’un important livret de 200 pages à l’iconographie abondante, comprenant seize articles passionnants mais réservés aux anglophones, ainsi que tout le texte de l’opéra
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Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Semele, HWV 58
Louise Alder,
soprano (Semele)
Hugo Hymas, ténor (Jupiter)
Lucile Richardot,
mezzo-soprano (Juno, Ino)
Carlo Vistoli,
contre-ténor (Athamas)
Gianlucca Buratto, basse (Cadmus, Somnus)
Emily Owen, soprano (Iris)
Angela Hicks, soprano (Cupid)
Peter Davoren, ténor (Apollo)
Angharad Rowlands, mezzo-soprano (Augur)
Dan D’Souza, baryton (High Priest)
English Baroque Soloists
The Monteverdi Choir
Sir John Eliot Gardiner, direction
Un album de 3 CD du label Soli Deo Gloria SDG733
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Photo à la une : Hendrick Goltzius (1588-1617), Junon conseille Sémélé – Photo : Ancien fonds du Musée d’Art et d’Histoire, de la Ville de Genève