Ravel avait quitté Paris en ce printemps 1914, avril était déjà solaire à Saint-Jean-de-Luz, il se mit sans façon à écrire ce Trio longtemps redouté, partition magique dont le balancement de barcarolle qui emporte et ramène comme dans un ressac le Modéré initial créera un effet poétique inédit.
Le pianiste, qui donne ici le tactus, est responsable de tout, trop lent il fait sombrer, trop vif il ôte le mystère ; dans ma discothèque, le tempo parfait est la propriété de Georges Pludermacher pour EMI (avec Jarry et Tournus, cherchez et trouvez !), Wu Qian admirable pour la suggestion et le toucher versicolore serait presque un peu lent (ce qui vaut mieux que trop preste), mais elle fait ressac et ses deux amis à cordes sont miraculeux d’évocation souple avec ces archets qui rêvent.
Leur Pantoum est irrésistible, libre et précis, exactement ravélien. La Passacaille est lullyste, point trop lente pour être dansée, et dite par Alexander Sitkovetsky avec un sentiment tenu. Ravel paraît encore, nostalgique et pudique à la fois. Le poudroiement du Final, sa danse ivre, seront irrésistibles, le clavier réglant ce ballet qui semble échappé de Daphnis et Chloé. Magnifique.
Les trois amis ajoutent le Deuxième Trio de Saint-Saëns et le jouent divinement, mais à l’aune de leur Ravel, quel dommage qu’ils n’aient pas plutôt tenté celui de Fauré ! Et tirons du trio du petit-fils Sitkovetsky la pianiste, Wu Qian, dont le livret ne nous dit rien, mais que les oreilles avisées de Robert von Bahr auront remarqué : tout le piano solo de Ravel (et probablement aussi les Concertos) lui iraient bien.
LE DISQUE DU JOUR
Maurice Ravel (1875-1937)
Trio pour piano, violon et violoncelle, M. 67
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Trio pour piano, violon et violoncelle No. 2 en mi mineur, Op. 92, R. 129
Sitkovtesky Trio
Un album du label BIS Records 2219
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Photo à la une : les membres du Trio Sitkovtesky – Photo : © DR