Svetlin Roussev vient de quitter son poste de Konzertmeister à l’Orchestre de la Suisse Romande pour retrouver une carrière de concertiste trop longtemps différée. Quittant la Suisse, il adresse ici en quelque sorte un cadeau de remerciement aux mélomanes helvètes en gravant une version inspirée, lyrique, admirablement jouée, réunissant clarté formelle du discours – la cadence de l’Allegro qui s’appuie sur le violon polyphonique inventé par Bach – et fluidité improvisée du jeu.
L’œuvre n’a connu qu’une poignée de versions, on les compte sur les doigts d’une main, depuis la gravure princeps de Wolfgang Schneiderhan, Baiba Skride récemment en avait renouvelé l’approche, la tirant vers un certain néo-classicisme avivé par la proximité avec le Concerto pour violon de Stravinski qui partageait le disque (Orfeo).
Svetlin Roussev prend son exact contrepied, porté par le geste si lyrique d’Arie van Beek, chef rompu à l’œuvre de Frank Martin. Il chante, approfondit de son archet ample les mystères du sublime Andante, sommet de l’œuvre, l’Orchestre de Chambre de Genève lui fournissant les décors poétiques dont Martin a millimétré chaque détail d’atmosphère.
L’œuvre est d’une beauté crépusculaire inouïe, je ne me suis jamais expliqué qu’elle soit si peu courue, au concert comme au disque, alors qu’elle s’inscrit au panthéon des concertos pour violon du XXe siècle, je crois bien que cette fois elle a trouvé sa version de référence.
Arie van Beek ajoute l’Esquisse écrite en 1920 pour Ernest Ansermet et l’Orchestre de la Suisse Romande, partition magique et pourtant oubliée – ceci en est quasiment la première gravure discographique – où Frank Martin conquiert son langage, épure ses textures, s’échappe du post-romantisme et invite dans son nouveau vocabulaire l’orchestre versicolore de Debussy, merveille que même le compositeur aura délaissée.
Maintenant que Svetlin Roussev entend se consacrer entièrement à son art, que Claves ne le laisse pas s’envoler, Patrick Peikert serait bien inspiré de lui faire enregistrer une anthologie des concertos du XXe siècle, Szymanowski, Bartók, Stravinski, Berg, Walton, et tant d’autres œuvres espèrent son archet flamboyant et poétique.
LE DISQUE DU JOUR
Frank Martin (1890-1974)
Concerto pour violon et orchestre
Esquisse pour orchestre
Svetlin Roussev, piano
L’Orchestre de Chambre de Genève
Arie van Beek, direction
Un album du label Claves Records 50-3017
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Photo à la une : le violoniste Svetlin Roussev – Photo : © DR