La trompette de L’Apprenti sorcier sonne moqueuse, piquante, et montre un personnage. Si Walt Disney avait pu connaître l’enregistrement d’Enrique Jordá, peut-être l’aurait-il préféré à celui de Leopold Stokowski. La musique française fut une de ses spécialités22; comme nombre de musiciens espagnols, il avait appris son métier à Paris, y faisant ses débuts en 1938.
Decca lui fit signer un contrat pour des sessions avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire en février 1950. Certes, on lui concèderait L’Apprenti sorcier, et aussi la Danse slave extraite du Roi malgré lui de Chabrier, mais pas plus de ce côté-ci des Pyrénées, Ernest Ansermet ayant le monopole du répertoire français pour le même éditeur.
Alors des Espagnols, Falla (le brio sans clinquant de la Danse de La vida breve, modèle de style), Granados, Turina – sublime Procesión del Rocío – et Albéniz, mais des bis en fait et souvent orchestrés par d’autres plumes que celles du compositeur.
Peu importe, l’allant, les rythmes fouettés, les couleurs chatoyantes, un brio sans vulgarité rapproche son art de celui d’Ataúlfo Argenta.
Pour l’élan, écoutez simplement son Ouverture de Ruslan et Ludmila – les Russes formeront l’autre part de prédilection de son répertoire – la furia des cordes, la souplesse des accents, le cantabile des violoncelles, l’exactitude pour la mise au point comme pour la balance, et plongez dans les cercles infernaux de la Francesca da Rimini de Tchaikovski, seul opus d’envergure de ses séances parisiennes demeurées sans lendemain hélas !
Par la suite, Decca le négligea, ne lui offrant plus qu’une session, cette fois à Londres avec un orchestre majoritairement de studio (le New Symphony Orchestra), Clifford Curzon l’ayant expressément réservé pour son enregistrement des Nuits dans les jardins d’Espagne. Soudain toute l’Andalousie pénétrait au Kingsway Hall. L’enregistrement fut l’affaire d’une petite heure, il restait du temps, dans la foulée Jordá enregistra quasi d’une traite une Symphonie « Du Nouveau Monde » pleine de caractère, et d’ombres dans un Largo d’une ampleur inédite, avant que ne fusent le Scherzo et le Finale, cravachés à la Toscanini.
Quelques albums suivront pour RCA avec l’Orchestre Symphonique de San Francisco où il succéda à Pierre Monteux, une Symphonie « Classique » de Prokofiev sur les pointes, d’autres Noches pour Rubinstein, puis plus un sillon. Merci à Cyrus Meher-Homji de nous avoir rafraîchi la mémoire avec ces éclatants Decca.
LE DISQUE DU JOUR
Enrique Jordá
The Decca Recordings 1950-1951
Paul Dukas (1865–1935)
L’apprenti sorcier
Mikhail Glinka (1804–1857)
Ruslan et Ludmila – Ouverture
Emmanuel Chabrier (1841–1894)
Danse slave (extrait de « Le roi malgré lui »)
Manuel de Falla (1876–1946)
Danza española (extrait de « La vida breve, G. 35 »)
Enrique Granados (1867–1916)
12 Danzas españolas (3 extraits : V. Andaluza, II. Oriental, VI. Rondalla aragonesa – Jota)
Joaquín Turina (1882–1949)
La Procesión del Rocío, Op. 9
Isaac Albéniz (1860–1909)
Iberia, B. 47 (2 extraits : II. El puerto, VI. Triana – Orch. Arbós)
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840–1893)
Francesca da Rimini, Op. 32, TH 46
CD 2
Manuel de Falla (1876–1946)
Noches en los jardines de España
Clifford Curzon, piano
Antonín Dvořák (1841–1904)
Symphonie No. 9 en mi mineur, Op. 95 « Du Nouveau Monde »
Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire CD 1
New Symphony Orchestra of London CD 2
Enrique Jordá, direction
Un album de 2 CD du label Decca 4840403 (Collection Eloquence Australia)
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Photo à la une : l’image d’illustration du LP « Eclipse » de la Symphonie No. 9 de Dvořák avec le New Symphony Orchestra – Photo : © Decca