Lovro von Matačić, chef omniscient de la vieille école, qui était chez lui dans les ors des Vêpres de Monteverdi comme dans les paysages solaires de La Fanciulla del West adorait accompagner, il savait plier son art à la poésie des solistes, aux particularités de leurs conceptions, ceux-ci appréciaient le temps passé en répétition à mettre au point leurs interprétations, parfois au détriment des autres œuvres du programme : elles n’engageaient que lui, alors que les concertos.
Yves Saint-Laurent a eu la bonne idée de regrouper trois échos de ses concerts parisiens donnés au Théâtre des Champs-Elysées dans les années 1960-1970. Les curieux se précipiteront sur le Concerto « À la mémoire d’un ange », pour y entendre live Leonid Kogan qui avait fait du chef-d’œuvre de Berg son cheval de bataille en Occident, preuve qu’un artiste soviétique ne craignait pas de jouer la musique la moins en faveur auprès du régime, la position singulière du violoniste lui permettant ce type de liberté sans risquer d’être inquiété, d’ailleurs il donnait même l’œuvre en U.R.S.S., les sbires du Ministère de la Culture n’osant pas moufter.
Matačić raffine les textures et tend le discours, la danse de mort de l’Allegretto se pare de sonorités mahlériennes, le brasier qui ouvre l’Allegro me rappelle celui que Mitropoulos dressait devant le violon de Szigeti, Kogan s’y engage avec la même violence, mais tout cela n’est quasiment rien face à l’éther de la prière finale, avec sa citation spectrale du choral de Bach.
Après ce document majeur enfin révélé, deux versions du 3e de Prokofiev, l’une par Alexander Uninsky, l’autre par Nikita Magaloff. Le vainqueur n’est pas celui que l’on croit. Magaloff, imperturbable, à la technique parfaite, est assez lisse, alors qu’Alexander Uninsky, passé à une oublieuse postérité d’abord comme interprète de Chopin, fait preuve d’un jeu bien plus inventif – les Variations sont fascinantes – et dispose d’une palette de couleurs étourdissantes qu’avive encore les bois et les vents d’une Société des Concerts du Conservatoire inspirée par la direction flamboyante d’un chef qu’il est temps d’apprécier à sa juste valeur.
LE DISQUE DU JOUR
Alban Berg (1885-1935)
Concerto pour violon et orchestre « À la mémoire d’un ange »
Leonid Kogan, violon – Orchestre National de l’O. R. T. F
Enregistrement réalisé à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, le 13 janvier 1971
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Concerto pour piano et orchestre No. 3 en ut majeur, Op. 26
Alexander Uninsky, piano – Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire
Enregistrement réalisé à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, le 5 février 1967
Concerto pour piano et orchestre No. 3 en ut majeur, Op. 26
Nikita Magaloff, piano – Orchestre National de l’O. R. T. F
Enregistrement réalisé à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, le 29 janvier 1963
Lovro von Matačić, direction
Un album du label St-Laurent Studio YSLT-706
Acheter l’album sur le site du label www.78experience.com
Photo à la une : Lovro von Matačić – Photo : © DR