La boîte noire

Le manège des Rochers aurait-il dicté à Krzysztof Warlikowski l’épure de son langage dramatique ? La puissance lapidaire du poème d’Hofmannsthal comme la ligne droite implacable de la musique de Strauss ne lui auront pas laissé le temps de s’adonner à ses idiosyncrasies. Małgorzata Szczęśniak aura tout de même imposé son univers de pommeaux de douche mais cette fois, pas de bidets. Au centre, un grand bain lustral par quoi passera jusqu’à mi-corps le fantôme d’Agamemnon, petit Léthé domestique pour faire lien entre les morts et les vivants qui d’ailleurs se confondent dans cet opéra des agonies.

À gauche, une grande boîte noire rectangulaire, la chambre de Klytaemnestra et d’Aegisth. Dans une robe blanche de petite fille perdue, Elektra attend et voit le fantôme de son père. La caméra montre dès les premiers plans la précision du travail de direction d’acteurs, chaque servante est cernée dans une psyché singulière. Klytaemnestra est une grande bourgeoise torturée, en rien un monstre, et Tanja Ariane Baumgartner l’incarne avec une noblesse déchue étonnante, la voix est belle, sans raucité.

La Chrysosthemis d’Asmik Grigorian, apprêtée comme une executive woman, étonne par sa froideur, sa distance, qui fondront à mesure que le drame la rattrapera, aigus aisés, chant émouvant comme à contrario de son costume. Mais celle qui emporte le drame, c’est bien l’Elektra visionnaire d’Ausrinè Stundyté, moderne Cassandre, dominant vocalement et dramatiquement un rôle distribué généralement à des voix qui ont plus de corps, mais autant d’âme ?

Oreste est revenu, il assassinera sa mère dans la chambre souillée par Aegisth : Warlikowski ne montre pas le crime, la boîte est redevenue noire, mais le cri fuse et le sang jaillit sur les murs, que des norias de mouches viendront boire. Elektra danse comme un pantin, Oreste part hagard par la salle, fou à jamais. Franz Welser-Möst et les Wiener Philharmoniker donnent les derniers coups de leurs lames sonores impitoyables. Soirée historique.

LE DISQUE DU JOUR

Richard Strauss (1864-1949)
Elektra, Op. 58, TrV 223

Aušrinè Stundytè, soprano (Elektra)
Tanja Ariane Baumgartner, mezzo-soprano (Clytemnestre)
Asmik Grigorian, soprano (Chrysothémis)
Michael Laurenz, ténor (Égisthe)
Derek Welton, basse (Oreste)
Tilmann Rönnebeck, basse (Le précepteur d’Oreste)
Verity Wingate, soprano (La porteuse de traîne)
Valeriia Savinskaia, soprano (La confidente)
Matthäus Schmidlechner, ténor (Un jeune serviteur)
Jens Larsen, basse (Un vieux serviteur)
Sonja Šarić, soprano (La surveillante)

Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
Franz Welser-Möst, direction
Krzysztof Warlikowski, mise en scène

Un DVD du label C Major Entertainment/Unitel Edition 804308
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Photo à la une : la soprano Aušrinè Stundytè – Photo : © DR