« Tout un monde lointain, c’est de l’opium », m’exclamais-je en parlant à un ami au sortir du Victoria Hall dans la froidure d’une fin d’hiver genevois. On était le 6 mars 1991, François Guye venait de perdre son chant, ses rêves et ses cauchemars dans l’orchestre-liane dont Armin Jordan avait essayé de l’enlacer, cessant juste avant tout l’étouffement final.
Monde suspendu, la musique irréelle de Dutilleux planait entre l’orgue et les balcons, poème de sons et d’espaces, baudelairien absolument, une drogue puissante et subtile à la fois. Je crois n’avoir jamais connu un tel rêve éveillé par d’autres versions. La RSR avait diffusé le concert, j’avais pu renouveler chez moi l’expérience de cette transe tranquille, voici qu’il est édité, j’en abuse depuis que j’ai reçu le disque, savourant de surcroît la splendeur de la prise de son des metteurs en onde de la Radio Suisse Romande.
Hommage à Armin Jordan proclame l’éditeur, hommage à François Guye aussi, l’un des plus beaux violoncellistes de son temps et l’un des plus modestes, puisque qu’avant l’œuvre de Dutilleux, on l’entend prophétiser le Schelomo de Bloch dans le grand apparat d’orchestre biblique que lui déploie Armin Jordan en maître des couleurs, conteur tout autant que son soliste.
Mais j’y pense, puisque Cascavelle ouvre la malle aux trésors si abondante emplie par les concerts d’Armin Jordan, pourquoi ne pas leur consacrer un abondant coffret illustrant des œuvres qu’il n’a pas enregistrées par ailleurs : il y aurait de quoi faire, de Roussel à Stravinski en passant par Zemlinsky.
LE DISQUE DU JOUR
Ernest Bloch (1880-1959)
Schelomo, B. 39
Henri Dutilleux (1916-2013)
Tout un monde lointain
François Guye, violoncelle
L’Orchestre de la Suisse Romande
Armin Jordan, direction
Un album du label Cascavelle VEL1620
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Photo à la une : le chef d’orchestre Armin Jordan – Photo : © RSR/Claves Records