Depuis que j’ai découvert le Pelléas ténor d’Éric Tappy, je n’entends plus ce rôle autrement que chanté dans cette sombre lumière. La fragilité des baryton-martins, leur lyrisme élégiaque si magnifiquement représenté par Camille Maurane se sont pour moi à jamais estompés derrière la virilité, l’intensité expressive à laquelle parviennent ici les ténors, sans compter qu’ils ne tremblent pas devant le « la » aigu de la scène du parc : Ernst Haefliger et Nicolai Gedda ont également à jamais marqué ce rôle, mieux connus en Allemagne qu’en France.
Sur l’enregistrement aux teintes de crépuscule dont Pierre Dumoussaud fait passer les épisodes comme sous l’objectif d’une caméra plane un parfum d’ »éternel retour », une atmosphère légendaire, et une sensualité de l’orchestre entêtante qui transporte le Pelléas passionné, admirablement chanté (le « la » piano du parc !) de Stanislas de Barbeyrac face à la Mélisande sensuelle, pulpeuse, fascinante de Chiara Skerath, jamais fragile. Son modèle serait-il Rachel Yakar, qui avait éloigné Mélisande du moindre maniérisme ?, et d’ailleurs le mètre-étalon de cette version si singulière serait-il l’enregistrement d’Armin Jordan ?
Si le couple des amants vous entraîne loin dans son monde imaginaire, le Golaud tout simple d’Alexandre Duhamel, sans violence, dévoré par le destin, est un modèle où passe le souvenir de celui, parfait, d’Henry-Bertrand Etcheverry. Arkel philosophe selon Jerôme Varnier, bel Yniold féminin selon Maëlig Querré, Jean-Vincent Blot parfait Berger puis Médecin ; seul bémol, la lettre précautionneuse de Geneviève selon Janina Baechle qui se garde bien d’en faire trop. On peut admirer son style.
Sommet, la scène du parc, avec en son centre un échange à la limite du silence qui vous fera frissonner d’émotion, moment de pure magie où la harpe se perd dans l’éther. Quelle version !
LE DISQUE DU JOUR
Claude Debussy (1862-1918)
Pelléas et Mélisande,
L. 93
Stanislas de Barbeyrac,
ténor (Pelléas)
Chiara Skerath,
soprano (Mélisande)
Alexandre Duhamel,
baryton (Golaud)
Jérôme Varnier, basse (Arkel)
Janina Baechle, mezzo-soprano (Geneviève)
Maëlig Querré, soprano (Yniold)
Jean-Vincent Blot, basse (Le Berger, le Médecin)
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Pierre Dumoussaud, direction
Un album de 2 CD du label Alpha Classics 752
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Photo à la une : une photo de l’enregistrement de Pelléas et Mélisande à Bordeaux en novembre 2020 – Photo : © Pierre Planchenault