Les chants de pays perdus ? Dans son piano empli de paysages et de danses, Lukas Geniušas m’entraîne dans les collines de Bucovine, ce pays effacé des cartes, scindé entre l’Ukraine et la Roumanie, littéralement hors du monde.
Le plus fort est qu’il parvient, par son jeu plein d’imagination, à faire oublier les stylisations que Desyatnikov, avec sa plume lettrée qui se souvient un peu trop de Bartók, a ajoutées à ces instantanés qu’il semble avoir glanés dans un recueil publié par un musicologue russe au début des années 1950.
Une piste comme une autre, le compositeur évoquant un folklore imaginaire où se mêlent les musiques juives – la Bucovine comptait une importante communauté yiddish – les danses balkaniques, les doinas roumaines, confondant les pistes en donnant à chaque pièce des titres indiqués à la fin de celles-ci, à la manière des Préludes de Debussy.
Au final, ces 24 Chants auront aligné toutes les tonalités, le savant enserrant le populaire. Lukas Geniušas passe outre, saisissant les poésies de crépuscule, les danses un peu ivres, les paysages embrumés, composant cette merveilleuse et un peu inquiétante ballade d’automne.
Le cahier de Bartók, hongrois de titre mais plutôt roumain d’essence avec ses hétérophonies et ses faux archaïsmes, se coud sans un faux-pli à celui de Desyatnikov, avec ses cinq chants nostalgiques, puis après l’orage de la Ballade, Geniušas détaille avec tendresse la suite des neufs danses, ingénues ou mutines, rêveuses ou ivres.
En postlude la Dumka de Tchaikovski sonne comme un retour aux sources de ces pays perdus si chers à l’âme poétique du jeune homme.
LE DISQUE DU JOUR
Leonid Desyatnikov
(né en 1955)
Chants de la région de Bucovine
Béla Bartók (1881-1945)
15 Chants paysans hongrois, Sz. 71, BB 79
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Dumka, Op. 59
Lukas Geniušas, piano
Un album du label Mirare MIR440
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Photo à la une : le pianiste Lukas Geniušas – Photo : © DR