Le monde est bien fait. Skip Sempé eut en quelque sorte la révélation du vrai visage de Bach en entendant, à Oberlin où il était étudiant, Gustav Leonhardt.
Sa quête de Bach, commencée par la fréquentation des enregistrements de Wanda Landowska, allait se compléter en s’abreuvant à une autre source : celle des clavecins historiques, ou de leurs copies modernes. Le souvenir si vivant de Gustav Leonhardt irradie au long de cet album brillant et profond, empli d’une certaine tendresse qui refuse de paraître pour mieux émouvoir : écoutez la Variation à deux claviers tirée des Goldberg. Il irradie d’abord par l’instrument, le Skowroneck d’après Vaudry, que Leonhardt aura légué à deux de ses élèves favoris, Pierre Hantaï et Skip Sempé, puis par les transcriptions où son maître aura mis le plus poétique de son art à étendre encore le répertoire du clavecin de Bach.
Les transcriptions de Leonhardt additionnent la fantaisie et la rigueur, celles consacrées à la Sonate pour violon, BWV 1005 sont d’une clarté aveuglante, dans la nostalgie – le Largo – comme dans l’allégresse (l’Allegro assai, littéralement dansé par Skip Sempé), et l’idée de paysager ces pièces éparses, transcriptions ou originales, avec des œuvres des sphères germaniques et anglaises que Leonhardt aimait, complète le portrait du maître par l’élève.
Disque magnifique, récital à tiroirs comme les a toujours affectionnés Skip et où l’on entend toutes les beautés du Skowroneck captées avec élégance par Hugues Deschaux.
Transcription ? En 1993, Skip avait enregistré pour deutsche harmonia mundi sa propre transcription de la Chaconne de la Deuxième Partita pour violon. L’avait-il notée sur le papier à musique ? Mystère. Aya Hamada, entendant le disque à la Juilliard School fut saisi par le brio et la complexité de cette proposition qui renvoyait Busoni aux oubliettes et entreprit illico de la noter au fil d’innombrables écoutes du disque.
Finalement, elle l’enregistre aujourd’hui, après l’avoir montrée au claveciniste, sur le merveilleux Ruckers du Musée de Neuchâtel. La profusion des traits, la haute virtuosité de l’ensemble, l’éloquence un rien héroïque qu’il faut y mettre, tout y est, et dévoile une claveciniste de première force, qui embrase cette transcription fabuleuse.
La même ardeur, la même vitalité rythmique emporte la Toccata, BWV 912 et un Concerto Italien plein de panache. Mais que vienne le ton plus sombre, le geste plus large, les fantaisies un rien mélancoliques de la grande Ouverture à la française et son admirable clavecin chante, empli de couleurs.
Un bon génie discret relie ces deux disques qui sans le savoir se répondent, Olivier Fortin, qui aura prêté son oreille attentive à l’un et l’autre projet, qu’il en soit remercié.
LE DISQUE DU JOUR
Johann Jakob Froberger (1616-1667)
Méditation faite sur ma mort future, la quelle se joue lentement avec discrétion
Johann Caspar Ferdinand Fischer (1656-1746)
Harpeggio en ré majeur
(extrait du recueil « Musicalischer Parnassus »)
Toccata en ré mineur (extrait du recueil « Musicalischer Parnassus »)
Sylvius Leopold Weiss (1687-1750)
Allemande en ré mineur (transcription pour clavecin : Skip Sempé)
Juan Cabanilles (1644-1712)
Tiento II de falsas
Johann Kuhnau (1660-1722)
Praeludium en sol majeur (extrait de la « Partie V » de la « Neue Clavier Übung »)
Henry Purcell (1659-1695)
Ground, Z. 222
A New Ground, Z. 682
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Praeludium en ré mineur, BWV 940
Sonate pour violon seul No. 3 en ut majeur, BWV 1005
(transcription pour clavecin : Leonhardt, sauf l’Adagio initial, BWV 968)
Adagio, BWV 1059/2 (version pour clavecin seul : Gustav Leonhardt, ca. 1963)
Variatio 13 a 2 Clav. (extrait des « Variations Goldberg, BWV 988 »)
Suite pour violoncelle No. 6 en ré majeur, BWV 1012
(extraits : IV. Sarabande, V/VI. Gavottes I & II – arr. pour clavecin : Leonhardt, 1978)
Partita pour violon No. 2 en ré mineur, BWV 1004
(extraits : III. Sarabande, IV. Gigue – arr. pour clavecin : Leonhardt, 1976)
Partita pour violon No. 1 en si mineur, BWV 1002
(extraits : V. Sarabande – arr. pour clavecin : Leonhardt, 1975)
Skip Sempé, clavecin
Instrument : clavecin d’après Vaudry, Paris 1681, Martin Skowroneck, 1975
Un album du label Paradizo PA0018
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Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Toccata en ré majeur, BWV 912
Concerto Italien, BWV 971
Ouverture dans le style français, BWV 831
Partita pour violon No. 2 en ré mineur, BWV 1004 (extraits : V. Ciaccona – arr. pour clavecin solo : Skip Sempé)
Aya Hamada, clavecin
Un album du label Evidence EVCD074
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Photo à la une : le claveciniste Skip Sempé – Photo : © DR