L’Ouverture – une pure folie qui fait éclater l’orchestre ramiste en un saisissant feu d’artifices – aurait dû suffire à alerter les interprètes depuis longtemps.
Las !, rangé au rayon des divertissements et considéré comme secondaire dans un catalogue où l’on préférera d’abord priser les tragédies lyriques ou les opéras ballets, d’Acanthe et Céphise, on tira les danses et basta. L’occasion – mineure – l’anniversaire du Duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XV, et un livret bien troussé à l’action mince mais efficace (des amants doués par une bonne fée de sympathie émotionnelle et physique sont menacés par un mauvais génie qui veut s’emparer de la part féminine du couple), mais où il est possible de débusquer les références maçonniques assez explicites dont Marmontel a parsemé son poème – auront suffit à plonger cette partition stupéfiante dans l’oubli.
C’était n’en pas voir la musique, prodigieuse, et oublier un peu vite que Rameau avait écrit sur mesure Achante pour Pierre Jélyotte, et Céphise pour Marie Fel. Finalement, Sylvie Buissou et Robert Fajon éditèrent l’œuvre en 1996, ils étaient bien les seuls à y croire. Voici qu’Alexis Kossenko, aiguillonné par le Centre de Musique baroque de Versailles, la révèle, coup de tonnerre !
La musique est de bout en bout une splendeur, l’art vocal même s’y émancipe, mêlant le chant et le récit, donnant à l’ensemble une dramaturgie moderne qui fleurira dans Les Paladins, et bonheur, autant Sabine Devieilhe que Cyrille Dubois animent de leurs voix stylées et ardentes le coule des amants torturés, toujours unis devant le Mage si sombre de David Witczak, tous emportés par la direction athlétique d’Alexis Kossenko, les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles menés avec brio par Olivier Schnebelli n’étant pas en reste.
Un conseil, commencez par le second CD : le grand divertissement de l’Acte II, avec l’entrée des chasseurs est un des moments les plus stupéfiants de tout Rameau, qui écrivit spécialement des parties de cors et de vents pour des souffleurs venus des collines de Bohème. Irrésistible, et comment ne pas penser aux prodiges d’inventions qui magnifieront Les Boréades ? Sans nul doute, dix ans avant, Achante et Céphise fut leur laboratoire.
LE DISQUE DU JOUR
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Acante et Céphise ou La Sympathie – Pastorale héroïque, RCT 29
Sabine Devieilhe, soprano (Céphise)
Cyrille Dubois, ténor (Acante)
David Witczak, baryton (Le génie Oroès)
Judith van Wanroij, soprano (Zirphile)
Jehanne Amzal, soprano (La Grande Prêtresse)
Artavazd Sargsyan, ténor (Un Coryphée, Un berger)
Arnaud Richard, baryton (Un Coryphée, Un chasseur)
Marine Lafdal-Franc, soprano (Une fée, Une bergère)
Anne Sophie Petit, soprano (La deuxième Prêtresse, Délie)
Floriane Hasler, mezzo-soprano (La troisième Prêtresse)
Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles
Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie
Alexis Kossenko, direction
Un album de 2 CD du label Erato 019029669394
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Photo à la une : © DR