Le poète parle

Une confidence ou une Valse ? Jean-Marc Luisada prend son temps, rubato subtil, polyphonies ombrées, contre-chant qui dit autant que le chant, la grande Valse en la mineur aura rarement été aussi dite jusque dans la suggestion. Secret de cette émotion, l’art de timbrer, qui permet de faire entendre toutes les nuances du sentiment. C’était une évidence depuis ses débuts, Luisada était né pour Chopin, il possédait cette qualité inhérente à tout grand interprète du Polonais, savoir faire paraître la tendresse jusque dans l’héroïsme.

La vaste anthologie Chopin qu’il aura engrangée pour Sony durant les vingt premières années du XXIe siècle se sera ouverte juste à leur orée. En 1999, un récital enregistré au Studio Tibor Varga à Sion alignait une Valse, des Mazurkas, des Préludes et une Etude entourant trois pièces majeures – Fantaisie, 2e Scherzo, 3e Ballade – où la grande forme, qui chez Chopin est dans le plus petit espace une tentation – rayonnait : piano ample, débordé de timbres, d’une imagination sonore qui renvoyait au temps des grands pétrisseurs d’ivoire. Les Ballades au complet au suivront, emplis de visions, hugoliennes, la Quatrième vous transportant dans un autre monde où la nostalgie se fait funambule.

Toutes les Valses, toutes les Mazurkas seront reprises, après les premières moutures Deutsche Grammophon, sans les démoder, apportant sous les mêmes doigts des éclairages autres, des approfondissements du son, des allégements du rythme, preuve dans les Mazurkas des affinités profondes entre l’esthétique du jeu de Luisada et les portées noircies par Chopin, avec toujours cette dimension supplémentaire de danses qui deviennent des idées de danses.

Etrange, hors les Deuxième et Quatrième Scherzos, Luisada ne sera pas revenu aux deux autres, les quatre au complet ayant fait l’objet d’un de ses premiers disques réservé il me semble au seul Japon.

Sommets de ce petit coffret indispensable à toute discothèque Chopin, une Troisième Sonate d’une élégance fiévreuse où s’infuse comme le souvenir de celle de Dinu Lipatti, et dans un récital de 2007, une Polonaise-fantaisie à la poésie insondable après une Barcarolle qui semble envisager Fauré – toujours cette science de faire entendre dans la polyphonie le lacis harmonique – et trois Nocturnes irréels de couleurs, de respirations, de suggestions, avec ce sfumato de pédale clair comme savait aussi le produire Dino Ciani.

Justement, tous les Nocturnes, tous les Préludes, et même les Polonaises seraient pour demain l’occasion de continuer ce voyage.

LE DISQUE DU JOUR

Frédéric Chopin (1810-1849)

Ballade No. 1 en sol mineur, Op. 23
Ballade No. 2 en fa majeur,
Op. 38

Ballade No. 3 en la bémol majeur, Op. 47
Ballade No. 4 en fa mineur,
Op. 52

Andante spianato et Grande Polonaise brillante, Op. 22
Nocturne en ut mineur, Op. 48 No. 1
Nocturne en mi bémol majeur, Op. 9 No. 2

Grande Valse brillante en mi bémol majeur, Op. 18
Mazurka en la bémol majeur, Op. 17 No. 3 (Legato assai)
Mazurka en la mineur, Op. 17 No. 4 (Lento ma non troppo)
Mazurka en ut majeur, Op. 24 No. 2 (Allegro non troppo)
Fantaisie en fa mineur, Op. 49
Nocturne en ré bémol majeur, Op. 27 No. 2 (Lento sostenuto)
Nocturne en si majeur, Op. 62 No. 1 (Andante)
Scherzo No. 2 en si bémol mineur, Op. 31
24 Préludes, Op. 28 (3 extraits : Nos. 17, 22 & 7)
Ballade No. 3 en la bémol majeur, Op. 47
Etude en ut mineur, Op. 10 No. 12 « Révolutionnaire »

Grande Valse brillante en mi bémol majeur, Op. 18
3 Valses, Op. 34
3 Valses, Op. 70
Valse en mi mineur, B. 56
2 Valses, Op. 69
3 Valses, Op. 64
Valse en la bémol majeur, Op. 42
4 Mazurkas, Op. 67
3 Mazurkas, Op. 68

4 Mazurkas, Op. 6
5 Mazurkas, Op. 7
4 Mazurkas, Op. 17
4 Mazurkas, Op. 24
4 Mazurkas, Op. 30
4 Mazurkas, Op. 33
4 Mazurkas, Op. 41
3 Mazurkas, Op. 50
3 Mazurkas, Op. 56
3 Mazurkas, Op. 59
3 Mazurkas, Op. 63

Sonate pour piano No. 3 en si mineur, Op. 58
Concerto pour piano No. 1 en mi mineur, Op. 11 (version pour piano et quintette à cordes)
Quatuor TalichBenjamin Berlioz, contrebasse

Nocturne en ut dièse mineur, B. 49
Nocturne en si bémol mineur, Op. 9 No. 1
Nocturne en en mi bémol majeur, Op. 55 No. 2
Barcarolle en fa dièse majeur, Op. 60
Polonaise-Fantaisie en la bémol majeur, Op. 61
Scherzo No. 4 en mi majeur, Op. 54
Etude en la bémol majeur, Op. 10 No. 10
Etude en sol bémol majeur, Op. 10 No. 5 « sur les touches noires »
Valse en la mineur, Op. 34 No. 2

Jean-Marc Luisada, piano

Un coffret de 7 CD du label RCA Red Seal 194399275320
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Photo à la une : le pianiste Jean-Marc Luisada – Photo : © Catherine Cabrol