Rameau n’a pas pu se réfréner : l’air de soprano qui ouvre le sublime Quam dilecta tabernacula pourrait être chanté par Clarine, les longues phrases ornementées de l’Et enim passer où le ténor volute avec la flûte sont absolument opératiques ; tout cela est déjà un théâtre des sentiments et des émotions avant même le coup de tonnerre d’Hippolyte et Aricie proclamant soudain le génie dramatique qui conduira la tragédie lyrique à son second apogée.
L’ensemble des motets écrits entre 1712 et 1721, est fascinant, Rameau y opère une synthèse entre le modèle lullyste, les tentations italianisantes qui pénètrent par instants ceux de Lalande (l’influence maudite de Charpentier) et le génie, illustratif jusqu’à la sensualité, de ceux de Pierre Robert, qui pourrait être le modèle par quoi Rameau s’émancipe, préférant faire raisonner les mots des Ecritures par leur sensible plutôt que par leur fulgurance dont le chœur s’emparera.
Le geste si puissant que Gérard Jarry déploie au long de ce disque éclairant me semble renouveler le sujet, par l’émotion qu’il imprime dans les couleurs mêmes des notes, par l’éloquence du chœur, par le ton singulier qu’il donne à chacun des quatre grands motets, et par la présence si prégnante de ses solistes. Mathias Vidal, somptueux, ne devra pas vous faire négliger les dessus et les tailles, magnifiques d’incarnation elles aussi.
Album rayonnant, indispensable à toute discothèque Rameau.
LE DISQUE DU JOUR
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Quam dilecta tabernacula, RCT 15
In convertendo Dominus,
RCT 14
Laboravi clamans, RCT 16
Deus noster refugium, RCT 13
Maïlys de Villoutreys, soprano
Virginie Thomas, soprano
Mathias Vidal, ténor
David Witczak, baryton
François Joron, baryton
Chœur & Orchestre Marguerite Louise
Gaétan Jarry, direction
Un album du label Château de Versailles Spectacles CVS5052
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Photo à la une : © DR