Le magicien

Juillet 1936, Wilhelm Kempff “file” la 5e Suite française, il l’aura toujours prise dans des tempos à courir la poste, une captation en concert à Postdam trente-trois ans plus tard, le montre aussi preste. Mais le 78 tours, qui interdit les reprises, fait ce vol plus magique encore, littéralement il poudroie de l’or en son (avec dans le précipité en apesanteur de la Gigue quelque chose de debussyste, que ce clavier d’ondes avive encore).

Le pianiste Wilhelm Kempff, en 1926 – Photo : © DR

Beaucoup de Bach dans ces Polydor qui, on ne doit pas l’oublier, sont des à-côtés d’un parcours Beethoven déjà réuni par APR. Miracle !, ces faces « secondaires » sont mieux restituées que celles monothématiques des précédents albums.

Kempff faisait de son Bach, transcrit par lui pour lui et que lui seul pouvait faire, un conte magique. Qu’on ne croit pas les micros moins ouverts dans le Troisième Prélude du Premier Livre du Clavier bien tempéré, ce pianissimo d’eau, cette nacre de source si claire et si ronde, c’est Kempff qui l’invente, faisant un usage virtuose de la una corda, comme dans les retrais irréels, de dynamique, de son pur et donc immatériel, du premier mouvement du Concerto Italien, d’une vie folle dans une rigueur de texte à laquelle on ne pense pas, fasciné simplement.

Laissez-vous hypnotiser par le Largo du 5e Concerto, vous verrez !, et souffler par l’orgue qui s’invite dans son piano pour la Sinfonia de la Cantate Wir danken dir, Gott.

Tout ici est merveille, l’apesanteur du 5e Prélude, avec cette main gauche incroyable, la Sicilienne ombreuse où l’on croit entendre la plaine d’Orphée, et jusque dans les Schubert, les Schumann, une Sonate « Turque » d’une délicatesse inouïe, de phrasés, de timbres, comme si Mozart la jouait là, devant vous. C’est Wilhelm Kempff tout entier, un autre monde qui vous happe et vous entraîne si loin.

LE DISQUE DU JOUR

Wilhelm Kempff
Bach, Mozart, Schubert & Schumann : The Complete Polydor Recordings,
1927-1936

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Suite française No. 5 en sol majeur, BWV 816
Prélude et Fugue No. 3 en ut dièse majeur, BWV 848
Prélude et Fugue No. 5 en ré majeur, BWV 850 (2 versions : version 1928 et 1931)
Concerto Italien en fa majeur, BWV 971 (extrait : I.)
Concerto pour clavier No. 5 en fa mineur, BWV 1056 (extrait : II. Largo – arr. Kempff)
Prélude de Choral « Wachet auf, ruft uns die Stimme », BWV 645 (arr. Kempff)
Sonate pour flûte et clavecin en mi bémol majeur, BWV 1031 (extrait : II. Siciliano – arr. Kempff)
Cantate « Wir danken dir, Gott, wir danken dir », BWV 29 (extrait : I. Sinfonia – arr. Kempff)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sonate pour piano No. 11 en la majeur, K. 331 « Alla turca »
Franz Liszt (1811-1886)
Ständchen von Shakespeare (extrait des « 12 Lieder von Franz Schubert, S. 558 », d’après le D. 889 de Schubert – version Liszt adaptée par Kempff)
Franz Schubert (1797-1828)
Moments musicaux, Op. 94, D. 780 (2 extraits : III. Allegro moderato, IV. Moderato)
Impromptu en si bémol majeur, D. 935, Op. 142 No. 3
Robert Schumann (1810-1856)
Fantasiestücke, Op. 12 (extrait : II. Aufschwung)
Kinderszenen, Op. 15 (extrait : VII. Träumerei)

Wilhelm Kempff, piano

Un album du label APR5638
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Photo à la une : le pianiste Wilhelm Kempff – Photo : © DR