Lorsque Les Paladins déboulèrent en 2004 sur la scène du Châtelet, avec force hip hop, rames de métro et bestiaire délirant, réinventés par William Christie et sa formidable bande, je ronronnais de contentement. Enfin le temps était venu pour l’autre ultime grand ouvrage lyrique de Rameau, dont la postérité aura été effacée par le destin plus tortueux des Boréades. Las, le disque ne suivit pas, seul le spectacle fut documenté par un réjouissant DVD, mais Christie coupait un peu, scène oblige. Les Paladins en restèrent donc à l’enregistrement pionnier de Jean-Claude Malgoire, parcellaire, une version plus complète, parue récemment, s’avérant décevante, malgré un bel Atis. Là encore, tout le texte n’y était pas.
Coup de tonnerre, après de brillantes Indes Galantes (j’y reviendrai), Valentin Tournet entraine cette folle comédie-ballet jusqu’à l’ivresse. Rameau y est prodigieux de verdeur dans son orchestre, le livret assaisonnant une intrigue toute simple d’humour, la piquant d’un ton souvent ironique, autorisant l’octogénaire à faire sa plume aussi légère que brillante.
L’orchestre des Paladins, avec ses couleurs poivrées, n’est pas moins stupéfiant que celui des Boréades, ses nombreuses danses cumulent de savoureuses musettes (c’est la musique même des Paladins, en déguisement de pèlerin, menés par Atis), d’explosifs bruits de guerre. Il faut entendre comment Valentin Tournet emporte tout cela, quelle flamme, quelle imaginations de timbres, de rythmes, il imprime à ses musiciens, instrumentistes et choristes.
Distribution en or pur, mené par l’ardent Atis de Mathias Vidal dans sa meilleure voix, mais comment résister à l’Argie touchante de Sandrine Piau, à la Nérine mutine d’Anne-Catherine Gillet (qui fait entendre une qualité de diction, une couleur typique d’une certaine école de chant française qui par elle perdure), les méchants formidables de Florian Sempey et Nahuel Di Pierro.
Tout cela sera démêlé par la bonne fée Manto, rôle de travesti que Philipe Talbot assume crânement de son ténor rossinien (même si je garde une petite préférence pour celle plus « queer » de François Piolino), les ultimes danses pourront s’élancer, la fête ne sera pas finie pour autant, Valentin Tournet ajoutant en appendice un air de Nérine et quelques pièces d’orchestre retirés avant les représentation de 1760. Abondant livret, note d’intention du chef, article éclairant de Loïc Chahine, intégralités du conte de La Fontaine et du livret de Duplat de Monticourt, décidément Les Paladins ont eu raison d’attendre si longtemps, les voici enfin, irrésistibles !
LE DISQUE DU JOUR
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Les Paladins, RCT 51
Sandrine Piau, soprano (Argie)
Anne-Catherine Gillet, soprano (Nérine)
Mathias Vidal, ténor (Atis)
Florian Sempey, baryton (Orcan)
Nahuel Di Pierro, basse (Anselme)
Philippe Talbot (La fée Manto)
La Chapelle Harmonique
Valentin Tournet, direction
Un album de 3 CD du label Château de Versailles Spectacles CVS054
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Photo à la une : le chef d’orchestre Valentin Tournet – Photo : © DR