Debussy lui-même songea à l’Arcadie en aquarelisant ses irréels Epigraphes antiques, et l’évoquera avec des personnages dans ses Chansons de Bilitis. Sensiblement à la même époque, Reynaldo Hahn, inspiré par son séjour romain, cherchera son antiquité chez Leconte de Lisle. Est-ce à dire qu’il voulait se détourner de la sensualité que Pierre Louÿs avait inspirée à Debussy ?
Il l’envisage d’un autre horizon musical, plus serein comme le proclame la ligne parfaite, la couleur un peu blanche (un peu Satie, le Satie des Gymnopédies) de Néère, mélodie emblématique d’un cycle dont on découvre ici la mouture originelle : Hahn réduira ses Etudes latines à une seule voix, les barytons se les appropriant majoritairement.
Mais les merveilles sereines que sont Néère puis Lydé, le sublime Vile potabis, Tyndaris, Pholoé qui forment le cœur de ce bijou ne s’entendent vraiment qu’en voix de sopranos. Christiane Karg ne peine pas à nous en convaincre, de sa nacre, de ses mots subtils, c’est merveille, comme pour le reste du cycle où Daniel Behle emporte la chanson de Lydie, où chœur, ténor et soprano paraissent dans Thaliarque, dans Phidylé, animant ce petit théâtre vocal que Reynaldo Hahn savait si bien susciter, maître du bref et de l’émotion.
Le versant Debussy de l’album est tout aussi envoûtant, commencé par un exultant Printemps, poursuivi avec une splendide « réduction » de La damoiselle élue selon Howard Arman qui inspire à son chœur munichois un français aussi parfait de mots qu’inspiré d’émotion, Christiane Karg s’invitant aussi pour une des Ariettes oubliées.
Je referme ce bel ouvrage, et en ouvre un autre pour continuer avec Christiane Karg. Son disque de Noël, qui m’est parvenu un peu tard, est un voyage d’Europe qui la montre subtile polyglotte, et va chercher dans le rare en terres allemandes (Les Bergers de Cornelius), chez Sibelius, chez Toldrà (le tendre Cantarcillo, qui suffirait à convaincre de découvrir au-delà du chef d’orchestre le compositeur), chez Ravel même dont le Noël des jouets est si peu connu, avec son petit carrousel d’aigus. Merveille parmi les merveilles d’un album que je ne me lasse pas d’effeuiller.
LE DISQUE DU JOUR
Claude Debussy (1862-1918)
Salut printemps, L. 24
(arr. pour chœur de femmes et piano : M. Gaillard)
La damoiselle élue, L. 62* (version pour solistes, chœur de femmes et deux pianos : H. Arman)
Les angélus, L. 76 (arr. pour chœur de femmes : Gottwald)
Ariettes oubliées, L. 60 (extrait :
III. L’ombre des arbres dans la rivière embrumée)
Reynaldo Hahn (1874-1947)
7 Chansons grises (extrait : VI. Paysage triste)
Études latines** (version originale à plusieurs voix)
Daniel Behle, ténor – Anna Maria Palii, soprano (Une jeune fille) – Nikolaus Pfannkuch, ténor (Un jeune homme) – Tareq Nazmi, basse
Christiane Karg, soprano (*La damoiselle élue)
Angela Brower, contralto (* Une récitante)
Gerold Huber, piano I
Max Hanft, piano II
Chor des Bayerischen Rundfunks
Howard Arman, direction
Un album du label BR-Klassik 900529
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Licht der Welt
A Christmas Promenade
Mélodies de Engelbert Humperdinck, Peter Cornelius, Jean Sibelius, Felix Mendelssohn-Bartholdy, Robert Schumann, Gabriel Fauré, Eduard Toldrà, Joaquín Nin y Castellanos, Edvard Grieg, Gioacchino Rossini, Camille Saint-Saëns, Maurice Ravel, Jules Massenet, Charles Gounod, Cécile Chaminade, Joseph Marx, Richard Strauss
Christiane Karg, soprano
Gerold Huber, piano
Chor des Bayerischen Rundfunks
Howard Arman, direction
Un album du label harmonia mundi HMM902399
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Photo à la une : la soprano Christiane Karg – Photo : © Gisela Schenker