À Munich, à Berlin, Christian Thielemann aura cherché son Bruckner, comme il le cherche aujourd’hui encore avec les Wiener Philharmoniker au long d’un cycle qu’il engrange pour Sony Classical. Mais fait incontestable, il l’avait trouvé avec la Staastskapelle de Dresde. Question d’affinités électives entre le creusement de sa direction, l’ampleur philosophique de sa vision, et la nature du son des Dresdois, cette obscure clarté qui déjà avait aidé Eugen Jochum à surpasser les Bruckner divers qu’il avait gravés avec le Concertgebouw, les Berlinois, les Munichois et même les Viennois (la 7e pour le 78 tours).
Dresde, avec sa rigueur, son ardeur rythmique, ses attaques abruptes, donne à son Bruckner toujours prêt à divaguer (ce que le concert augmente encore, mais pas ici), une cohérence qui, paradoxalement, singularise chaque symphonie. Les emportements de la Première ont quelque chose d’acéré, les échappées pastorales de la 2e créent des paysages réalistes, la 3e se pare d’une éloquence rarement rencontrée avant que la 4e devienne une prodigieuse randonnée alpestre.
La bascule se produit avec la 5e, la Staatskapelle comme un orgue, le temps qui s’arrête, l’architecture élancée telle une flèche de cathédrale jusque dans un Final aveuglant. La 6e, orageuse, expressionniste, marque comme une parenthèse avec la trilogie ultime, dont l’Adagio de la Septième, vrai tombeau pour Wagner, marque l’acmé.
L’héroïsme noir de la 8e, Thielemann n’a jamais été aussi proche de Furtwängler qu’ici, et du Furtwängler de la guerre, les fulgurances cosmiques de la 9e avec son Finale qui touche à l’infini, montrent Thielemann face à sa raison d’être, Bruckner est le but de son art.
Entendre tout cela si bien capté et rendu par le Blu-Ray suffirait presque, mais l’œil est avide de saisir l’économie de cette baguette, son contrôle fanatique, la proximité de ce grand corps qui se courbe vers les cordes. Oui, le voyage est complet avec le visionnage de cette Staatskapelle, chez elle ou dans les salles de concerts amies qui auront accueilli devant un public médusé (le silence !) cette épopée Bruckner.
Petit bouquet Strauss/Wolf en complément de la 7e avec Renée Fleming qui renonce au sucre, et trouve l’émotion.
LE DISQUE DU JOUR
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 1 en ut mineur, WAB 101 (version Linz, 1866)
Symphonie No. 2 en ut mineur, WAB 102 (version 1877)
Symphonie No. 3 en ré mineur, WAB 103 “Wagner-Sinfonie” (version 1877)
Symphonie No. 4 en mi bémol majeur, WAB 104 « Romantique » (édition Haas)
Symphonie No. 5 en si bémol majeur, WAB 105
Symphonie No. 6 en la majeur, WAB 106
Symphonie No. 7 en mi majeur, WAB 107 (édition Haas)
Symphonie No. 8 en ut mineur, WAB 108 (édition Haas)
Symphonie No. 9 en ré mineur, WAB 109 (édition Orel)
Richard Strauss (1864-1949)
Befreit, Op. 39/TrV 189 No. 5 (version orchestrale, 1933)
Hugo Wolf (1860-1903)
Verborgenheit (No. 12, extrait des “Mörike-Lieder”, Partie I)
Er ist’s (No. 6, extrait des “Mörike-Lieder”, Partie I)
Elfenlied (No. 16, extrait des “Mörike-Lieder”, Partie I)
Anakreons Grab (No. 29, extrait des “Goethe-Lieder”)
Mignon II (No. 6, extrait des “Goethe-Lieder”)
Les cinq Lieder de Hugo Wolf sont interprétés dans leur version orchestrale
Renée Fleming, soprano
Staatskapelle Dresden
Christian Thielemann, direction
Un coffret de 9 Blu-Ray du label C Major Entertainment CM757504
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Photo à la une : le chef d’orchestre Christian Thielemann à Dresde – Photo : © DR