On l’oublie trop, Saint-Saëns fut un pianiste d’exception, et c’est autant l’interprète que le compositeur que Cyprien Katsaris célèbre ici au long de ce revigorant album alignant les propres transcriptions du compositeur et celles qu’y ajoutèrent quelques musiciens souvent inspirés, et cela jusqu’au pianiste lui-même.
Tous les visages d’un œuvre multiforme paraissent ici, le moins connu demeurant celui de l’auteur de musique de film. En 1908, Le Film d’Art montra une pellicule de dix-sept minutes retraçant l’assassinat du duc de Guise ; Saint-Saëns, toujours féru des nouvelles techniques, fut évidemment choisi pour en écrire la musique : succès immédiat, Durand ne tardant pas à demander à Léon Roques d’en réaliser une version pianistique : Cyprien Katsaris met enfin la musique de Saint-Saëns sur les images de Calmettes et Le Bargy, ne peinant guère de son piano versicolore, qu’il anime en acteur, à évoquer l’orchestre original. Il faut dire que la transcription de Roques est exceptionnelle, comme celle de Lucien Garban pour Le Carnaval des animaux, que Cyprien Katsaris étoffe encore, en capturant l’humour facétieux comme la magie poétique.
On pourra rester plus réservé sur la transcription à visée pédagogique de la Symphonie avec orgue entreprise par Percy Goetschius, même si ici encore le pianiste l’habille en tentant de lui donner une dimension plus orchestrale. Mais il suffit de la comparer avec la réduction éclairée du Deuxième Concerto par Georges Bizet pour prendre la mesure séparant le métier et l’art. Fabuleuse transcription, où le texte de Saint-Saëns s’éclaire ; Cyprien Katsaris prend le soin d’y ajouter les quelques voix instrumentales non retenues par l’auteur de Carmen.
Cet album où se déploie une virtuosité éblouissante s’écoute avec un plaisir toujours renouvelé, et permet de réentendre sous de nouveaux angles quelques partitions que j’avais oubliées. Quelle belle musique qu’Africa et l’Allegro appassionato, pièce de concours où passe le souvenir si vivace de Liszt !
Vous qui entrerez ici, commencez par la Danse macabre, écoutez les sortilèges, la fièvre qu’y met Cyprien Katsaris, enflammant son Bechstein, fabuleux, à l’exemple de tout ce double album, certainement la contribution discographique la plus originale apportée au centenaire de la disparition de Camille Saint-Saëns.
LE DISQUE DU JOUR
Camille Saint-Saëns
(1835-1921)
Le Carnaval des animaux,
Op. posth., R. 125 (arr. Lucien Garban & Cyprien Katsaris)
Hymne à Victor Hugo, Op. 69 (version piano : Saint-Saëns)
Bacchanale de « Samson et Dalila, Op. 47, R. 288 »
(arr. Saint-Saëns)
Symphonie No. 3 en ut mineur, Op. 78, R. 176 « Symphonie avec orgue » (arr. Percy Goetschius & Cyprien Katsaris)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 22, R. 190
(arr. Georges Bizet & Cyprien Katsaris)
Africa, fantaisie pour piano et orchestre, Op. 89, R. 204
(version pour piano seul : Saint-Saëns)
Allegro appassionato, Op. 70, R. 200 (version pour piano seul : Saint-Saëns)
Valse canariote, Op. 88, R. 43
Valse nonchalante, Op. 110, R. 48
Danse macabre, Op. 40, R. 171 (arr. Franz Liszt & Cyprien Katsaris)
L’Assassinat du duc de Guise, Op. 128, R. 331 (arr. Léon Roques)
Cyprien Katsatris, piano
Un album de 2 CD+1DVD du label P21 064-N. Le DVD propose le film – muet – « L’assassinat du duc de Guise » (1908) d’André Calmettes et Charles Le Bargy, Cyprien Katsaris jouant la réduction pour piano de la partition de Saint-Saëns conçu pour illustrer le film. Remarquables notices signées Loïc Serrurier et Melissa Arnaud.
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Photo à la une :le pianiste Cyprien Katsaris – Photo : © Capucine de Chocqueuse