Mirages

« Ma pensée est un cygne harmonieux et sage ». Ce premier vers de Cygnes sur l’eau de Renée de Brimont me hanta bien avant que je l’entende ouvrir Mirages de Gabriel Fauré.

Lorsque je pris mon premier cours auprès d’Irma Kolassi et qu’elle me demanda ce que je voulais chanter de Fauré, je lui dis tout de go « Mirages ». « Oh, c’est difficile Mirages ». Et ce ne l’était pas pour le chant, moins ardu que dans L’Horizon chimérique ou La Bonne chanson, ce l’était pour l’esprit, pour le style, être à la fois immobile et mouvant, prolonger le son dans l’ombre du son, déployer sur les intervalles trompeurs cette ligne comme tracée par un seul trait de crayon jusqu’à « la lune d’argent ».

Souzay, Maurane, Kolassi elle-même le pouvaient, quel saisissement d’entendre Roderick Williams, dans un français si pur, si lettré (ses « golfes embaumés », ses « îles immortelles » justes pressées d’exaltation comme il le faut disent tant du rythme fauréen) y réussir à leur égal. Le piano adamantin, confident, de Roger Vignoles, qui parfois déploie un autre chant, n’est pas pour peu dans la poétique réussite de ce qui est à mes yeux l’un des plus beaux disques consacrés à la mélodie française paru depuis le début du XXIe siècle.

Et le programme cherche dans les marges : les merveilleuses Ballades françaises de Caplet, les Saluste du Bartas d’Honegger, qui les connaît encore aujourd’hui, qui les chante ? Des Poulenc piquants (Dans le jardin d’Anna, génial !), un Don Quichotte à Dulcinée différent, dont même l’ébriété est tendre, un admirable Beau soir de Debussy pour clore la fête où le baryton glisse un cycle de sa plume, Les ténèbres de l’amour médusant de beauté, capturant l’esprit et la lettre de Verlaine.

Quel disque !

LE DISQUE DU JOUR

Mirages
The Art of French Song

Gabriel Fauré (1845-1924)
Mirages, Op. 113
André Caplet (1878-1925)
5 Ballades françaises
Arthur Honegger (1892-1955)
Petit cours de morale, H. 148
Saluste du Bartas, H. 152
Maurice Ravel (1875-1937)
Don Quichotte à Dulcinée, M. 84
Roderick Williams (né en 1965)
Les ténèbres de l’amour
Francis Poulenc (1899-1963)
2 Poèmes d’Apollinaire, Op. 94
Parisiana, Op. 157
Claude Debussy (1862-1918)
Beau soir, L. 84

Roderick Williams, baryton
Roger Vignoles, piano

Un album du label Champs Hill Records CHRCD159
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Photo à la une : le baryton Roderick Williams – Photo : © DR