L’orchestre d’abord. Pour ceux qui auront fréquenté les Sibelius de Mariss Jansons à Oslo, l’étonnement sera certain. La même phalange vraiment ? On irait un peu vite chercher la raison d’une telle différence dans la prise de son autrement éclairée. Mais c’est la précision de Klaus Mäkelä, sa maîtrise de chaque détail, son impressionnante lecture verticale, qui rendent tout si net. Trop net ?
À mesure que le langage de Sibelius se radicalise, soit à partir de la Quatrième Symphonie, cet œil impitoyable, cette oreille parfaite, sont en quelque sorte de plain-pied avec le texte. Pour moi, les deux premières Symphonies renâclent à entrer dans cet ordre solaire. Le jeune homme essaie bien de les y contraindre, mais quelque chose bouillonne et éructe en dehors de son geste dans le souvenir qui hantera tout discophile sibélien.
Paysage mental : celui que l’auditeur hypermnésique possède se heurte à celui du chef qui l’impose avec un art saisissant jusque dans une Sixième Symphonie incroyable : plus du tout la parenthèse lyrique que Karajan inventait au millimètre près avec ses Berlinois pour Deutsche Grammophon, mais un entre-deux mondes, les souvenirs de celui de la Cinquième Symphonie et une direction perdue, un éden, que le primitivisme de la 7e Symphonie et de Tapiola auront rejetés.
Ensemble évidemment fabuleux, qui découvre un vrai génie de la direction d’orchestre – que ceux qui doutent visionnent sa 9e Symphonie de Mahler avec l’Orchestre de Paris ou ses Danses du Tricorne, ils verront que le geste produit le son – mais le faire commencer au disque par Sibelius est tout de même une facilité de la part de l’éditeur, quels que soient le degré d’inspiration et la pertinence de sa vision : sa Quatrième Symphonie glaciale, stellaire, est assez inouïe, sa 5e moins affirmée, la Troisième exemplaire et au niveau de celles de Barbirolli et de Mravinsky.
Mais la 7e, et surtout Tapiola trouvent en Mäkelä mieux qu’un interprète, un quasi compositeur par sa capacité à imposer dans les sons ses propres paysages mentaux. Ce serait passionnant de l’entendre « lire » les versions originales des 4e et 5e Symphonies, autrement plus saisissantes que les vaines esquisses qu’on suppose être les fragments de cette hypothétique Huitième Symphonie.
LE DISQUE DU JOUR
Jean Sibelius (1865-1957)
Symphonie No. 1 en mi mineur, Op. 39
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 43
Symphonie No. 3 en ut majeur, Op. 52
Symphonie No. 4 en la mineur, Op. 63
Symphonie No. 5 en mi bémol majeur, Op. 82
Symphonie No. 6 en ré mineur, Op. 104
Symphonie No. 7 en ut majeur, Op. 105
Tapiola, Op. 112
Oslo Philharmonic Orchestra
Klaus Mäkelä, direction
Un coffret de 4 CD du label Decca 4852256
Acheter l’album sur le site du label Decca ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : le chef d’orchestre Klaus Mäkelä – Photo : © DR